La pension alimentaire : quel régime fiscal ?

En cette période de déclarations fiscales, quid de la pension alimentaire ?

Intitulée « contribution à l’entretien et l’éducation des enfants », cette pension payée chaque mois en cas de séparation ou de divorce par l’un des parents, a pour objet de contribuer aux frais d’aliments, de vêture, d’éducation et de loisirs des enfants. Elle est due tant que les enfants ne peuvent être autonomes financièrement, autrement dit au-delà de la majorité le plus souvent.

Qu’elle soit fixée amiablement ou en exécution d’une décision de justice, cette pension est actuellement soumise au régime fiscal suivant en ce qui concerne l’imposition sur les revenus :

EN CE QUI CONCERNE l’ENFANT MINEUR :

Si la charge fiscale de l’enfant est partagée entre les deux parents et qu’ils bénéficient donc tous deux de la majoration du quotient familial (Article 80 septies CGI), aucune déduction ne peut être pratiquée. Le cas le plus fréquent est celui de la résidence alternée.

Par contre, si la charge fiscale de l’enfant est exclusivement supportée par un parent, la pension est déductible des revenus du parent qui la verse :

  • A hauteur du montant fixé par le jugement ou la convention de divorce, sans limitation, sous réserve que la décision soit définitive depuis 2006. Pour les pensions fixées par une décision définitive antérieure à 2006, la pension est déductible pour 125 % de son montant.
  • Les augmentations annuelles (par le jeu d’une clause d’indexation ou en cas de revalorisation de la pension) sont également déductibles.
  • Les autres frais d’entretien, à savoir les dépenses en nature spontanées, versés en complément de la pension et en dehors de l’exercice du droit de visite et d’hébergement (frais médicaux, scolaires ou extra-scolaires par exemple), sont aussi déductibles à condition d’être justifiés. Il sera donc nécessaire de conserver les factures correspondant aux frais couverts et les relevés de comptes bancaires.

EN CE QUI CONCERNE l’ENFANT MAJEUR A CHARGE :

  • La pension est déductible sous condition de versement effectif et de justifier l’état de besoin de l’enfant majeur, dans la limite d’un plafond de 5.795 € (pour l’imposition des revenus de l’année 2017). Peu importe que la pension soit versée à l’autre parent ou directement à l’enfant. Cette somme est doublée si le majeur concerné a une famille à charge.
  • Lorsque l’enfant majeur réside chez le parent débiteur de la pension alimentaire, celui-ci peut déduire les dépenses de nourriture et d’hébergement pour un montant maximum de 3.445 €.

Pour le parent bénéficiaire de la pension, les sommes reçues sont imposables au titre de l’impôt sur les revenus et doivent donc être déclarées dans la catégorie des pensions. Lorsque l’enfant est majeur, le plafond applicable est le même que celui appliqué en matière de déduction. Il convient donc de déclarer : le montant effectivement reçu si celui-ci est inférieur à 5.795 € ou le montant de 5.795 €, si le montant réellement perçu est supérieur.

Caroline Pons-Dinneweth, Avocat à la Cour.

 

Quelle justice demain ?

On sait les avocats contestataires par nature. Mais en ce mois d’avril 2018, ils ne sont pas seuls à se mobiliser contre le projet de loi de programmation pour la justice proposé sans concertation par le gouvernement. L’ensemble des professions judiciaires : magistrats, greffiers et avocats, dénonce depuis plusieurs semaines tant la méthode de cette réforme, menée sans réflexion et au pas de charge, que le contenu du projet, préjudiciable aux droits de la défense, des victimes et plus généralement du justiciable. Après plusieurs jours d’une grève très suivie, bien qu’un peu occultée par celle des cheminots, une journée de mobilisation nationale et unitaire est prévue le 11 avril, afin que la modernisation, certes nécessaire de l’institution, ne se traduise pas par une nouvelle dégradation du service de la justice.

Les points du projet principalement contestés sont les suivants :

  • L’atteinte portée aux droits de la victime :

En portant de 3 à 6 mois le délai du Procureur de la République pour répondre à une plainte pénale, puis en exigeant un recours hiérarchique devant le Procureur Général en cas de classement sans suite, et en autorisant le juge d’instruction à refuser la plainte avec constitution de partie civile lorsque la citation directe devant le Tribunal est possible.

  • L’atteinte aux droits de la défense par la création du tribunal criminel départemental composé de magistrats au lieu d’un jury populaire :

Ce projet aboutit à une extension de la correctionnalisation pour tous les crimes. Il fait primer la gestion des flux et l’approche budgétaire sur la qualité du procès d’assises (diminution de l’oralité au détriment des droits de la défense). Ce n’est plus une réforme judiciaire, mais une rupture culturelle. En faisant des électeurs des jurés, nos institutions offraient la garantie d’un procès juste et équitable afin que le Tribunal ne se transforme pas en une juridiction de la seule accusation, comme on le voit parfois devant certains tribunaux, où le sort du prévenu est déjà scellé, le débat écarté, l’espoir anéanti.

  • Une déjudiciarisation par une véritable privatisation de la justice, faisant primer une réduction des moyens qui aboutit à une justice sans juge, sans avocat et sans justiciable :
    • En envisageant la participation au service public de la justice de plateformes proposant une résolution des litiges par un traitement algorithmique ;
    • En prévoyant le règlement des petits litiges par voie dématérialisée, sans audience même si une partie le demande ;
    • En confiant aux directeurs de CAF le traitement des litiges portant sur la modification du montant d’une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants ;
    • En supprimant, en matière de divorce, la possibilité pour les époux d’être entendus dès le début de l’instance alors même qu’à ce stade, un dialogue entre le magistrat et les époux assistés de leurs avocats, est une nécessité reconnue par tous.
  • La création de déserts judiciaires par le regroupement des juridictions qui n’apportent ni garantie en matière de qualité de la justice ni réduction des coûts (avec au contraire une augmentation des frais de défense – et donc du budget de l’aide juridictionnelle – induits par l’allongement des déplacements des avocats).

Complexité, lenteur des procédures, manque de moyens, personne ne conteste que l’institution judiciaire nécessite une réforme et doive se moderniser. Mais cette modernisation doit-elle s’effectuer au détriment du justiciable ? Ne doit-on avoir qu’une vision statistique de la justice ?

Caroline Pons-Dinneweth, Avocat à la Cour

 

Divorce, séparation : quand un enfant rejette un parent…

Il arrive parfois qu’après un divorce ou une séparation, un enfant rejette un parent. Ce rejet peut prendre des degrés divers, du simple conflit, aux distances ou à la rupture brutale des relations. Ce rejet peut alors conduire à une demande de changement de résidence à l’initiative de l’enfant et la justice se trouve souvent peu à même d’apprécier la situation dans toute sa complexité. L’encombrement des tribunaux ne favorisant pas un examen approfondi, l’enfant est alors fréquemment entendu et son désir entériné, alors même que cette décision peut s’avérer contraire à son intérêt.

De nombreux professionnels ont pourtant expliqué ces phénomènes de rejet par un enfant de l’un de ses parents, parfois appelé « syndrome d’aliénation parentale ». Hormis les cas de maltraitance psychologique ou physique avérés dans lesquels, paradoxalement, l’enfant ne manifeste pas toujours le désir de couper le lien, les motifs peuvent être très variés. L’enfant décide parfois de se tourner vers le parent qui lui semble le plus fragile, le parent victime en quelque sorte. Dans d’autres cas, il favorisera le parent le plus compréhensif ou permissif ou son choix sera inconsciemment motivé par le fait d’obliger l’un de ses parents à faire preuve d’autorité.

La psychothérapeute Elodie Cingal analyse ces situations de rejet de la manière suivante :

Pendant la phase de séparation et celle qui suit, les parents ne sont plus les parents connus par l’enfant. Dans ce contexte, l’enfant qui n’a qui pas fini de se construire (quel que soit l’âge, même à 18 ans) se retrouve face à une perte de repères et de valeurs. Les deux parents se contredisent et les habitudes, à savoir les éléments de sécurité familiaux, sont rompus. L’enfant fragilisé peut alors se tourner vers l’un de ses parents et le choix ne portera pas forcément sur celui qu’il préfère mais sur celui qui se montre le plus conciliant et peut faire de sa vie un havre de paix.  Dans certains cas, son rejet peut aussi être inconsciemment motivé par le fait d’obliger l’un de ses parents à fixer des limites, à retrouver sa place et faire montre d’autorité.

Si le parent rappelle à l’enfant que malgré la situation de séparation et les désaccords, l’autre parent a toujours sa place et doit être respecté, le rejet ne pourra pas être mis en place. Pour qu’un enfant décide de ne plus voir l’un de ses parents de manière radicale, c’est donc que l’autre parent l’a autorisé, soit en laissant faire, soit par volonté de nuire.

Souvent le parent insiste pour que l’enfant aille voir son autre parent, mais il n’impose pas à l’enfant de le faire. Il suffirait pourtant qu’il dise à l’enfant « c’est ton père/ta mère, tu iras et c’est comme ça. Ce n’est peut-être pas le père/la mère idéale pour toi mais il/elle reste ton père/ta mère. Tu es encore mineur et ce n’est pas à toi de décider ce qui est bien pour toi. Je parlerai à ton père/ta mère pour que tout se passe bien ». Ainsi, l’enfant entend :

– le respect maintenu pour l’autre parent,

– le rappel de sa place dans la famille,

– le rappel du système des valeurs familiales,

– que le parent gardien a entendu sa plainte et se sent concerné,

– que le dialogue entre les parents n’est pas totalement rompu.

Auparavant, il était interdit à l’enfant de mal parler à un parent ou de refuser une activité… Pourquoi soudainement donner ce pouvoir à l’enfant ?

Ce qu’il est important de comprendre ici, c’est qu’en voulant bien faire – laisser faire et accepter de transformer les règles de base (politesse, respect du parent…) – le parent gardien renforce le sentiment de pouvoir de l’enfant et permet la création du rejet. L’émergence du phénomène de rejet dépend donc de la gestion et du maintien par les parents des valeurs et habitudes. Certains laissent faire, soit dans le but de nuire à l’autre parent, soit dans la croyance naïve qu’ils compensent ainsi la perte liée à la séparation / divorce. C’est une erreur à ne pas commettre.

L’autre parent se retrouve démuni face au rejet de son enfant. Ayant déjà peu de temps avec lui, il ne sait comment modifier sa perception. Il se sent piégé et pressent vite que tout sera interprété contre lui. Il est de plus en plus isolé et de ce fait de plus en plus fragile et moins amène pour rétablir une vérité. La spirale descendante est enclenchée et chacun, le père, la mère et l’enfant, perdent le contrôle sur les événements à venir.

Comment décider si un enfant doit ou non continuer à voir l’autre parent ? Doit-on répondre positivement à sa demande ?

Se peut-il qu’un enfant rejette son parent quand celui-ci n’a rien fait de répréhensible ? Nous savons tous que la séparation est le lieu privilégié des rancunes, angoisse et réactivation des problématiques refoulées.

Rappelons-le, un enfant, même à 18 ans, n’est pas capable de comprendre les conséquences de ses actes et de ses paroles. Il n’a pas accès à tous les éléments pour prendre sa décision et il n’en a pas la compétence.

Lorsqu’un enfant rejette un parent, il n’a pas conscience de la spirale descendante qu’il lance. L’argument s’applique également à l’adolescent. Il ne sait pas encore faire la part des choses. Tout un chacun estime qu’un adolescent dit des choses qui dépassent sa pensée pour provoquer et tester les limites. Alors, lorsqu’il s’agit de rejet d’un parent, comment pourrait-on considérer qu’il a mesuré sa demande, qu’il en comprend les conséquences ? Quels adultes sommes-nous pour dire tout et son contraire ?

Il serait donc préférable de réfuter la demande de l’enfant. Mais, comment avoir la certitude que nous ne remettons pas l’enfant à un parent nocif ? La question à élucider est la suivante : Les éléments de plaintes sont-ils proportionnés par rapport à la demande ?

Un enfant qui rejette un parent pour des motifs disproportionnés ne doit pas être entendu. Entendre l’enfant ne signifie pas accepter aveuglement sa demande mais la prendre en compte. Il s’agit alors de lui faire remarquer que nous prenons en compte sa difficulté mais que la décision étant très grave, il a été décidé de maintenir le lien tel qu’il était auparavant avec son parent. Il s’agit également de rappeler à l’enfant que le rôle d’un parent est de s’assurer du maintien du lien entre l’enfant et l’autre parent. Il s’agit d’ajouter que le parent défaillant dans le maintien de ce lien devra rendre des comptes. On peut l’expliquer par des choses simples comme les règles de politesse intrafamiliales : Alors que le couple était marié, aucun n’aurait accepté que son enfant refuse de dire bonjour, au revoir ou bonne nuit à l’autre parent. Les deux seraient restés solidaires pour faire entendre les règles de respect auprès du parent… et plus exhaustivement de la vie. Ce respect de l’autre parent doit perdurer malgré la séparation.

Tenir compte uniquement de l’avis de l’enfant lorsqu’il refuse de voir son parent conduit malheureusement à une distorsion des valeurs chez l’enfant. Celui-ci, non conscient de ce qu’il demande et de ses conséquences (selon Piaget, un enfant a fini d’acquérir la pensée abstraite vers 16 ans et donc la notion de projection dans le futur et de vue globale), se retrouve maître de son destin mais surtout, il pense avoir le pouvoir sur le monde des adultes.

Il est donc essentiel que les parents ne règlent pas leurs comptes sur le dos de leur enfant, restent cohérents dans son éducation et fassent preuve de fermeté malgré la séparation. L’éducation suppose nécessairement des interdits, des contraintes et des frustrations. Dire non à son enfant n’est pas un signe de désamour mais au contraire celui d’un rôle éducatif responsable et investi.

Aucun enfant ne peut se construire dans le rejet total ou partiel de l’autre parent car renier une partie de sa famille revient à se renier lui-même. Les parents doivent donc, malgré la séparation, maintenir le lien qui les unit à leur enfant et préserver le respect de l’autre parent. Il en va de la sécurité affective de l’enfant et de son développement.

En effet, selon la psychothérapeute, des risques existent pour l’enfant à terme, qu’il s’agisse des troubles psychopathologiques, psychosomatiques et relationnels mais également d’une perte considérable de la confiance en soi, pouvant  induire diverses formes de dépendance.

 

Succession de Johnny Hallyday : Peut-on déshériter ses enfants ?

Une chose est sûre : après un hommage aussi national que populaire, le rockeur français continuera à faire parler de lui longtemps après sa mort ! L’annonce par Laura Smet et David Hallyday de l’existence d’un testament établi en Californie par leur père quatre ans avant son décès, manifestant sa volonté de soumettre sa succession au droit américain et de les déshériter au profit de sa dernière épouse, alimente en effet  un feuilleton médiatico-judiciaire qui n’est pas prêt de s’arrêter !  Au-delà des considérations d’ordre moral  ou « people », cette affaire soulève d’intéressantes questions juridiques, notamment quant à la détermination du droit applicable et la portée du principe français de la réserve héréditaire dans l’ordre international.

Le droit français protège en effet certains héritiers dits réservataires – dont les enfants – en leur attribuant impérativement une portion de la succession ; règle d’ordre public à laquelle il est impossible de déroger. Dans l’affaire récente et assez similaire de la succession du compositeur Maurice Jarre (qui avait lui-aussi déshérité ses enfants au profit de sa dernière épouse par un testament californien), la Cour de Cassation a néanmoins jugé en septembre 2017 que la réserve héréditaire n’est pas un principe du droit français protégé par l’ordre public international, de sorte que la loi étrangère peut le méconnaître si son application n’est pas incompatible avec les principes essentiels du droit français (Cass. Civ. 1ère, 27 sept.2017, n°16-17.198). En l’espèce, la Cour avait relevé que les enfants du défunt, Jean-Michel Jarre et sa sœur Stéphanie, n’indiquaient pas être dans une situation de précarité économique et de besoin. Les enfants de Johnny Hallyday devront donc établir la violation d’un principe essentiel du droit français pour faire appliquer leur réserve héréditaire en dépit de l’application du droit californien et convaincre les juges que cette exhérédation leur cause un préjudice trop important ; ce qui pourrait être compliqué en l’absence de difficultés financières.

Quant à la détermination du droit applicable à la succession, la question est particulièrement intéressante au cas particulier. La règle de conflit désigne en effet comme loi applicable celle de la résidence habituelle du défunt. La question est d’autant plus importante que les biens immobiliers ne sont plus régis par la loi du lieu où ils se trouvent depuis le principe d’unicité de la loi successorale édicté par le Règlement européen n°650/2012, qui prévoit que la loi de la dernière résidence habituelle du défunt s’applique désormais pour tous les biens dépendant de la succession, meubles et immeubles. Selon la Cour de Cassation, cette notion de résidence habituelle s’entend comme « le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts » (Cass. Civ.1ère,  14 déc. 2005, n°05-10.951). Dans le cas de Maurice Jarre, l’application du droit américain soulevait moins de difficultés puisque celui-ci avait établi sa résidence aux USA de manière stable depuis les années 50. En ce qui concerne Johnny Hallyday,  la situation est plus litigieuse puisque celui-ci s’était certes établi depuis plusieurs années en Californie et était résident fiscal américain. Cependant, il résidait aussi régulièrement dans ses propriétés françaises de Saint-Barthélemy et Marnes-la-Coquette, où il a manifestement choisi de terminer sa vie se sachant atteint d’une très grave maladie et après s’être fait soigner à Paris. Ses obsèques nationales ont aussi eu lieu en France, où il réalisait probablement l’essentiel de ses revenus. Il sera donc intéressant de connaître la décision qui sera définitivement rendue sur cette question. Il en va de même de celle qui tranchera la contestation relative à un éventuel abus de faiblesse, bien qu’elle ait moins de chance d’aboutir s’agissant d’un testament établi en 2014.

Faute de règlement amiable, qui aurait pourtant le mérite de permettre à chacun de vivre largement à l’abri du besoin pour le restant de ses jours, en préservant sa réputation et sa tranquillité, le feuilleton se poursuivra donc, avec une seule certitude… L’argent rendra toujours fous, ceux qui en ont comme ceux qui n’en ont pas !

Caroline Pons-Dinneweth

Avocat à la Cour

Litige entre associés : quelles solutions ?

En ménage comme en affaires, il arrive quelquefois que la belle entente de départ cède la place au conflit. Concentrés sur la réussite de leur entreprise, les associés fondateurs prennent rarement la précaution d’anticiper les conséquences d’une éventuelle mésentente, si bien que les statuts sociaux n’apportent souvent aucune solution. Par ailleurs, même lorsqu’une clause de sortie a été prévue, sa mise en œuvre peut soulever des difficultés et son principe même ne pas constituer une solution satisfaisante pour un ou plusieurs associés. Reste alors la mise en œuvre des dispositions légales, mais celles-ci s’avèrent limitées dans la mesure où l’esprit du législateur fait primer l’intérêt social et donc la stabilité de la société sur les conflits personnels entre les associés. La loi offre par conséquent peu de leviers aux associés pour régler amiablement la crise.

Certains droits attachés à la qualité d’associé peuvent néanmoins être utilisés en cas de conflit :

  • la convocation d’une assemblée :

Sous réserve de détenir une participation suffisante dans le capital social (laquelle varie selon le type de société), tout associé peut demander la tenue d’une assemblée générale et/ou solliciter en justice la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée et d’en fixer l’ordre du jour.

  • Le dépôt de questions écrites :

Une fois l’assemblée convoquée, l’associé peut poser des questions écrites et déposer des projets de résolutions. Bien que limité, ce droit permet à l’associé d’être informé sur la conduite des affaires. Il peut aussi permettre de caractériser la mise en péril de l’intérêt social ou de rapporter la preuve d’une faute des dirigeants sociaux.

  • L’expertise de gestion :

A certaines conditions, un ou plusieurs associés peuvent demander en justice la désignation d’un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion déterminées. Cette demande n’est pas subordonnée à la preuve d’une faute de gestion puisqu’elle a précisément pour but de l’établir ; mais elle doit revêtir un caractère sérieux.

Utilisés avec pertinence, ces droits peuvent dans certains cas constituer des moyens de pression permettant de renverser le rapport de force et contraindre les autres associés à négocier un règlement amiable ; ce d’autant que les dirigeants sociaux préfèrent généralement éviter l’immixtion de tiers (mandataires, experts) dans la gestion des affaires sociales.

En cas d’échec, la résolution du conflit sera judiciaire, avec différentes possibilités d’action :

  • L’action en abus de majorité ou de minorité :

L’action en abus de majorité suppose que soit démontré que la décision est contraire à l’intérêt social et ne favorise que les associés majoritaires. L’abus de minorité suppose que la décision proposée soit considérée comme essentielle pour la société et que le minoritaire agisse dans son seul intérêt au détriment de l’intérêt social. Dans les deux cas toutefois, le tribunal ne pourra pas se substituer aux organes sociaux pour voter ou remettre en cause la décision. Il ne pourra que condamner les défaillants à des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ou désigner un mandataire ad hoc aux fins de représenter les associés minoritaires à une nouvelle assemblée si l’abus est caractérisé et voter en leur nom dans le sens de l’intérêt social.

  • La désignation judiciaire d’un mandataire ou administrateur ad hoc :

En cas de conflit particulièrement grave paralysant le fonctionnement normal de la société, un mandataire ad hoc pourra être désigné afin d’administrer temporairement la société. Si aucune solution n’est trouvée, cette action pourra conduire à une solution radicale : la dissolution judiciaire de la société.

  • La révocation du dirigeant pour juste motif :

Dans les cas où la loi ou les statuts sociaux prévoient la possibilité de révoquer le dirigeant pour juste motif ou motif légitime, cette révocation pourra être demandée en justice si un désaccord persiste avec les autres associés sur la gestion des affaires. Il sera alors nécessaire de caractériser des éléments objectifs de révocation. Toutefois, cette procédure ne permettra pas de régler directement une éventuelle sortie.

Compte tenu des difficultés inhérentes à ces diverses procédures, la meilleure solution reste donc l’anticipation des conflits. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, mieux vaut prévenir que guérir ! Afin d’éviter qu’un associé ne reste prisonnier de ses titres dans un conflit inextricable ou au contraire, soit contraint d’accepter des conditions de sortie qui ne le satisfont pas, il sera avisé d’anticiper le risque dès la création de la société par une rédaction attentive des statuts ou d’un pacte d’associés. La prévention des conflits entre associés suppose d’abord que soit clairement défini le rôle de chaque associé, au regard de ses compétences propres et de l’investissement qu’il souhaite apporter au projet. Il est possible de préciser ces éléments dans les statuts ou dans un pacte entre associés. En cas de répartition égalitaire du capital social, des clauses de rachat forcé (« buy or sell »), de retrait ou encore prévoyant un droit de vote double pourront être envisagées afin d’éviter les situations de blocage. La prévention implique donc une rédaction experte des statuts ou du pacte d’associés destinée à permettre un règlement amiable et définitif du conflit. Il sera également utile de compléter ces dispositions (retrait, rachat forcé, retrait avec reprise en nature, exclusion, révocation du dirigeant, etc.) de clauses prévoyant le recours à un mode de règlement alternatif des différends (médiation, arbitrage.…), qui pourront être mises en œuvre au préalable et permettront d’éviter des contentieux longs, coûteux et aléatoires pour toutes les parties.

Vie privée et contrat de travail

Chacun a droit au respect de sa vie privée. Ce droit peut néanmoins subir des restrictions dans le cadre de la vie professionnelle, à condition qu’elles soient nécessaires et proportionnées au but poursuivi (article L 1121-1 du Code du Travail).

Ces deux conditions imposent à l’employeur de respecter certaines règles, comme par exemple informer au préalable personnellement le salarié s’il souhaite utiliser un dispositif de vidéosurveillance sur son lieu de travail. L’employeur qui souhaite installer un système de géolocalisation sur le véhicule de fonction d’un salarié doit aussi l’en informer au préalable, ne pas utiliser le système à d’autres fins que celles prévues et pouvoir désactiver le dispositif lorsque le véhicule est utilisé par le salarié dans le cadre de sa vie privée.

La liberté vestimentaire du salarié peut également être restreinte si cette restriction est justifiée par le travail et proportionnée au but recherché. L’employeur peut ainsi prévoir dans un règlement intérieur un type de tenue dans l’entreprise. En l’absence de règlement écrit, le salarié ne peut pas, en principe, être licencié en raison de sa tenue, à moins que celle-ci cause un préjudice à l’entreprise (réputation, image…).

En ce qui concerne l’usage des ordinateurs et Internet, la prudence est de mise ! Tous les documents détenus par un salarié dans l’entreprise sont présumés professionnels. L’employeur peut donc en prendre connaissance en l’absence du salarié, sauf si celui-ci a mentionné qu’ils étaient de nature privée. Les courriels et fichiers se trouvant sur l’ordinateur professionnel ne sont pas considérés comme privés du seul fait qu’ils émanent de la messagerie électronique personnelle du salarié. Ils doivent le préciser expressément. Néanmoins, si l’employeur a le droit de consulter les documents qui ne sont pas signalés comme personnels, il ne peut pas les utiliser contre le salarié dans une procédure judiciaire s’il s’avère qu’ils relèvent de sa vie privée. Ainsi par exemple, il a été jugé que l’employeur ne pouvait pas se servir de courriels que son salarié avait échangés avec sa petite-amie pour prouver sa volonté de démissionner (Cass. soc. 18.10.2011, n° 10-25706).

Les connexions Internet pendant le temps de travail sont aussi présumées avoir un caractère professionnel et leur utilisation abusive à des fins personnelles peut constituer une faute justifiant un licenciement. En effet, un motif tiré de la vie privée peut justifier un licenciement disciplinaire s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ou a un impact sur la vie de l’entreprise.

Quant aux réseaux sociaux, mieux vaut éviter les publications accessibles à tous pour conserver son emploi ! Dans une affaire récente, il a été jugé que l’employeur avait commis une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée de la salariée en fournissant au juge des informations publiées sur le compte Facebook de cette dernière, obtenues via le téléphone professionnel d’un autre employé (Cass. soc. 20.12.2017, n° 16-19.609). La décision aurait sans doute été différente si les informations produites par l’employeur avaient été postées par la salariée sur son compte Facebook en mode « public »…