Les victimes du vaccin Covid-19 face aux incertitudes du droit et de la science.

L’adage est connu. Mieux vaut prévenir que guérir. Néanmoins, si la majorité des scientifiques s’accorde sur le fait que les vaccins contre la Covid-19 sont efficaces et sans danger, la médecine n’est pas une science exacte. Tout acte médical comporte sa part de risque, même exceptionnel. La vaccination contre la Covid-19 n’échappe pas à la règle. Avec l’augmentation du nombre de personnes vaccinées, les autorités de pharmacovigilance semblent constater l’apparition de certains symptômes post-vaccinaux (accidents vasculaires, affections du système nerveux, problèmes cutanés, affections hématologiques, troubles de la vision ou de l’audition).

Pour obtenir réparation de son préjudice, la victime n’est pas tenue de rapporter la preuve d’une faute (faute du professionnel lors de l’injection ou preuve de la nocivité du vaccin) ; ce qui serait quasi impossible pour un non sachant, confronté à la puissance de laboratoires multinationaux dotés de toutes les autorisations nécessaires à la commercialisation du produit.

La Loi du 1er juillet 1964 a en effet instauré un régime particulier de responsabilité sans faute pour une liste limitative de vaccins dits obligatoires, même s’ils ne le sont pas toujours… (antidiphtérique, antitétanique, antipoliomyélitique, anti rougeole, rubéole, oreillons, hépatite B, etc.). Ce régime prévoit la réparation intégrale des préjudices directement imputables à ces vaccins par l’ONIAM (Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales).

Toutefois, dans leurs tâtonnements et incohérences pour gérer la crise du Coronavirus, les pouvoirs publics ont encore failli en omettant d’inclure le vaccin Covid-19 dans la liste précitée.

La victime du vaccin Covid-19 n’est pas pour autant démunie. Elle peut demander réparation sur le fondement de l’article L3131-4 du Code de la santé publique, qui prévoit l’indemnisation des seuls préjudices directement causés par la vaccination. Faute d’anticipation de l’Etat sur les contentieux à venir, il reviendra alors au juge de préciser les conditions d’une indemnisation.

Pour les victimes du vaccin Covid-19, il s’agira donc de préciser les critères établissant un lien de causalité direct entre le préjudice subi et la vaccination.

Par analogie avec la jurisprudence développée en matière de vaccination contre l’hépatite B, quatre critères devraient être déterminants.

  1. La temporalité, c’est-à-dire l’apparition des symptômes dans un bref délai après la vaccination. Mais quid de la durée de ce bref délai (cinq mois ? six mois ?) et des affections qui pourraient se révéler à plus long terme selon certains scientifiques ?
  2. L’état de santé du patient avant la vaccination ou l’absence d’antécédents médicaux ; ce qui devrait exclure les patients particulièrement fragiles, pourtant les plus encouragés à se faire vacciner.
  3. Le développement normal de la maladie suite à l’apparition des symptômes ; l’indemnisation n’ayant pas vocation à réparer des troubles ponctuels ou transitoires.
  4. Une affection scientifiquement identifiée comme étant en lien avec le vaccin.

Le temps de la justice n’étant pas celui de la médecine, l’action en indemnisation demeure donc incertaine. Pour autant, elle n’est pas vaine et s’avère nécessaire pour faire triompher le droit sur les incertitudes de la science.

Honoraires et crustacés.

A la faveur de l’été, notre droit aurait-il adopté la démarche du crabe ?

Aux termes de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 dans sa rédaction initiale, à défaut de convention entre les parties, les honoraires devaient être fixés « selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci ».

Puis la Loi Macron du 6 août 2015 est venue modifier cet article en imposant l’obligation pour l’avocat de conclure par écrit avec son client, une convention précisant notamment le montant ou le mode de détermination des honoraires, les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés.
En vertu de ce nouveau texte, il n’était possible de déroger à l’obligation de conclure une convention d’honoraires qu’en cas d’urgence ou de force majeure.

Ces nouvelles règles ont donné lieu à des décisions de justice surprenantes, aux termes desquelles l’avocat se trouvait privé de rémunération pour son travail, faute de convention signée avec le client.

Par un arrêt du 14 juin 2018, la Cour de cassation s’est finalement prononcée en faveur du droit de l’avocat à un honoraire en l’absence de convention d’honoraires, malgré l’obligation légale imposée par la loi du 6 août 2015. Cet arrêt précise qu’en l’absence de convention, l’honoraire doit être fixé « en tenant compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci. »(Cass. 2e Civ. 14.06.2017, n° 17-19709). Etonnant non ?!

Si cette jurisprudence se maintient, les avocats négligents pourront par conséquent être rétribués pour leurs diligences. Reste que conformément à la loi, il est toujours préférable de contractualiser l’honoraire pour sécuriser le client et éviter l’aléa judiciaire induit par les critères d’appréciation posés par l’article 10.

Bonne rentrée à tous !

Caroline PONS-DINNEWETH, Avocat à la Cour

Quelle justice demain ?

On sait les avocats contestataires par nature. Mais en ce mois d’avril 2018, ils ne sont pas seuls à se mobiliser contre le projet de loi de programmation pour la justice proposé sans concertation par le gouvernement. L’ensemble des professions judiciaires : magistrats, greffiers et avocats, dénonce depuis plusieurs semaines tant la méthode de cette réforme, menée sans réflexion et au pas de charge, que le contenu du projet, préjudiciable aux droits de la défense, des victimes et plus généralement du justiciable. Après plusieurs jours d’une grève très suivie, bien qu’un peu occultée par celle des cheminots, une journée de mobilisation nationale et unitaire est prévue le 11 avril, afin que la modernisation, certes nécessaire de l’institution, ne se traduise pas par une nouvelle dégradation du service de la justice.

Les points du projet principalement contestés sont les suivants :

  • L’atteinte portée aux droits de la victime :

En portant de 3 à 6 mois le délai du Procureur de la République pour répondre à une plainte pénale, puis en exigeant un recours hiérarchique devant le Procureur Général en cas de classement sans suite, et en autorisant le juge d’instruction à refuser la plainte avec constitution de partie civile lorsque la citation directe devant le Tribunal est possible.

  • L’atteinte aux droits de la défense par la création du tribunal criminel départemental composé de magistrats au lieu d’un jury populaire :

Ce projet aboutit à une extension de la correctionnalisation pour tous les crimes. Il fait primer la gestion des flux et l’approche budgétaire sur la qualité du procès d’assises (diminution de l’oralité au détriment des droits de la défense). Ce n’est plus une réforme judiciaire, mais une rupture culturelle. En faisant des électeurs des jurés, nos institutions offraient la garantie d’un procès juste et équitable afin que le Tribunal ne se transforme pas en une juridiction de la seule accusation, comme on le voit parfois devant certains tribunaux, où le sort du prévenu est déjà scellé, le débat écarté, l’espoir anéanti.

  • Une déjudiciarisation par une véritable privatisation de la justice, faisant primer une réduction des moyens qui aboutit à une justice sans juge, sans avocat et sans justiciable :
    • En envisageant la participation au service public de la justice de plateformes proposant une résolution des litiges par un traitement algorithmique ;
    • En prévoyant le règlement des petits litiges par voie dématérialisée, sans audience même si une partie le demande ;
    • En confiant aux directeurs de CAF le traitement des litiges portant sur la modification du montant d’une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants ;
    • En supprimant, en matière de divorce, la possibilité pour les époux d’être entendus dès le début de l’instance alors même qu’à ce stade, un dialogue entre le magistrat et les époux assistés de leurs avocats, est une nécessité reconnue par tous.
  • La création de déserts judiciaires par le regroupement des juridictions qui n’apportent ni garantie en matière de qualité de la justice ni réduction des coûts (avec au contraire une augmentation des frais de défense – et donc du budget de l’aide juridictionnelle – induits par l’allongement des déplacements des avocats).

Complexité, lenteur des procédures, manque de moyens, personne ne conteste que l’institution judiciaire nécessite une réforme et doive se moderniser. Mais cette modernisation doit-elle s’effectuer au détriment du justiciable ? Ne doit-on avoir qu’une vision statistique de la justice ?

Caroline Pons-Dinneweth, Avocat à la Cour

 

Succession de Johnny Hallyday : Peut-on déshériter ses enfants ?

Une chose est sûre : après un hommage aussi national que populaire, le rockeur français continuera à faire parler de lui longtemps après sa mort ! L’annonce par Laura Smet et David Hallyday de l’existence d’un testament établi en Californie par leur père quatre ans avant son décès, manifestant sa volonté de soumettre sa succession au droit américain et de les déshériter au profit de sa dernière épouse, alimente en effet  un feuilleton médiatico-judiciaire qui n’est pas prêt de s’arrêter !  Au-delà des considérations d’ordre moral  ou « people », cette affaire soulève d’intéressantes questions juridiques, notamment quant à la détermination du droit applicable et la portée du principe français de la réserve héréditaire dans l’ordre international.

Le droit français protège en effet certains héritiers dits réservataires – dont les enfants – en leur attribuant impérativement une portion de la succession ; règle d’ordre public à laquelle il est impossible de déroger. Dans l’affaire récente et assez similaire de la succession du compositeur Maurice Jarre (qui avait lui-aussi déshérité ses enfants au profit de sa dernière épouse par un testament californien), la Cour de Cassation a néanmoins jugé en septembre 2017 que la réserve héréditaire n’est pas un principe du droit français protégé par l’ordre public international, de sorte que la loi étrangère peut le méconnaître si son application n’est pas incompatible avec les principes essentiels du droit français (Cass. Civ. 1ère, 27 sept.2017, n°16-17.198). En l’espèce, la Cour avait relevé que les enfants du défunt, Jean-Michel Jarre et sa sœur Stéphanie, n’indiquaient pas être dans une situation de précarité économique et de besoin. Les enfants de Johnny Hallyday devront donc établir la violation d’un principe essentiel du droit français pour faire appliquer leur réserve héréditaire en dépit de l’application du droit californien et convaincre les juges que cette exhérédation leur cause un préjudice trop important ; ce qui pourrait être compliqué en l’absence de difficultés financières.

Quant à la détermination du droit applicable à la succession, la question est particulièrement intéressante au cas particulier. La règle de conflit désigne en effet comme loi applicable celle de la résidence habituelle du défunt. La question est d’autant plus importante que les biens immobiliers ne sont plus régis par la loi du lieu où ils se trouvent depuis le principe d’unicité de la loi successorale édicté par le Règlement européen n°650/2012, qui prévoit que la loi de la dernière résidence habituelle du défunt s’applique désormais pour tous les biens dépendant de la succession, meubles et immeubles. Selon la Cour de Cassation, cette notion de résidence habituelle s’entend comme « le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts » (Cass. Civ.1ère,  14 déc. 2005, n°05-10.951). Dans le cas de Maurice Jarre, l’application du droit américain soulevait moins de difficultés puisque celui-ci avait établi sa résidence aux USA de manière stable depuis les années 50. En ce qui concerne Johnny Hallyday,  la situation est plus litigieuse puisque celui-ci s’était certes établi depuis plusieurs années en Californie et était résident fiscal américain. Cependant, il résidait aussi régulièrement dans ses propriétés françaises de Saint-Barthélemy et Marnes-la-Coquette, où il a manifestement choisi de terminer sa vie se sachant atteint d’une très grave maladie et après s’être fait soigner à Paris. Ses obsèques nationales ont aussi eu lieu en France, où il réalisait probablement l’essentiel de ses revenus. Il sera donc intéressant de connaître la décision qui sera définitivement rendue sur cette question. Il en va de même de celle qui tranchera la contestation relative à un éventuel abus de faiblesse, bien qu’elle ait moins de chance d’aboutir s’agissant d’un testament établi en 2014.

Faute de règlement amiable, qui aurait pourtant le mérite de permettre à chacun de vivre largement à l’abri du besoin pour le restant de ses jours, en préservant sa réputation et sa tranquillité, le feuilleton se poursuivra donc, avec une seule certitude… L’argent rendra toujours fous, ceux qui en ont comme ceux qui n’en ont pas !

Caroline Pons-Dinneweth

Avocat à la Cour

Le droit d’importuner ?

On croyait les femmes unies dans la défense de leur cause… pas en France manifestement ! C’est en tout cas ce que révèle le tollé provoqué par le mouvement # Me too / # Balance ton porc et la tribune publiée par des célébrités dans « le Monde » du 9 janvier 2018. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les opinions divergent et comme l’écrivait Desproges : « diverge, c’est beaucoup » ! Les unes dénoncent le retour au puritanisme, une tendance généralisée à la délation, la victimisation systématique des femmes qui serait contraire à leur autonomie et revendiquent, au nom de la liberté d’aimer, le « droit d’importuner ». Les autres leur reprochent de nier la souffrance des victimes d’agression sexuelle et d’encourager la soumission et le machisme. Aussi contestable soit-il, le combat courageux initié par ces femmes américaines sur les réseaux sociaux aura au moins eu le mérite de créer le débat, de libérer la parole des femmes et de faire entendre celle des victimes. Il aura en même temps rappelé que l’on ne peut se faire justice à soi-même et que les procès doivent se tenir dans les tribunaux. Reste que la défense des droits des femmes n’est pas synonyme de haine des hommes et que l’on peut défendre la liberté de séduire et d’aimer, sans pour autant accepter d’être réduite à l’état d’objet. Les agressions physiques font toujours des ravages affectifs et psychologiques. Les victimes de viol et de violence ne font qu’en témoigner. Ces infractions ne peuvent donc être minimisées. Quant à la question de savoir où commence l’atteinte, du simple regard jusqu’au frottement inapproprié ou au baiser volé, la réponse peut être aisément apportée. Le modèle idéal n’est sûrement pas celui d’une société puritaine où personne ne pourrait manifester la moindre attirance sous peine de se voir poursuivi ou condamné. Il n’est pas davantage celui d’une société libertaire, où au nom de je ne sais quelle autonomie ou liberté, la femme devrait se résoudre à être infériorisée ou abusée. Il est sans doute celui d’une société simplement éduquée, où chacun serait libre d’exprimer son désir ou ses sentiments avec respect, conscient que la limite à ne pas dépasser est l’absence de consentement de l’autre.

Serai-je remplacée par un robot ?

A l’heure où les métros, drones et autres engins terrestres ou aériens se pilotent seuls, où l’Intelligence Artificielle envahit le monde, où un célèbre champion du jeu de Go vient d’être piteusement battu par une machine, nous savons que nous devrons bientôt inventer un nouveau modèle économique car de nombreux métiers disparaîtront. Les professions dites intellectuelles ne sont pas épargnées, puisque le diagnostic du médecin, le geste du chirurgien, l’expertise du juriste pourront être remplacés par l’intervention plus sûre de la machine. Exit les juges et les avocats ! Vive l’avènement d’une justice simple et rapide d’un simple clic sur un écran d’ordinateur ! Tout un programme… en somme !

Tandis que les uns s’inquiètent – ou dorment – les autres : les « modernes » s’enthousiasment. Ils rêvent déjà de s’affranchir de cette cohorte de juristes : fonctionnaires, salariés ou prestataires couteux (en oubliant au passage les gains ou économies qu’ils leur permettent de réaliser). Certains imaginent même les profits qu’ils pourraient retirer de l’utilisation des machines.

Un article paru dans les Echos en 2016 proposait de confier la justice à des robots (Les Echos 21/09/2016, L. Alexandre, O. Babeau « Confions la justice à l’intelligence artificielle »).

Au Royaume-Uni, un rapport de l’administration proposait déjà en 2015 de créer un tribunal civil en ligne, où les discussions et le jugement seraient automatisés. On y voit l’avantage d’une justice plus rapide et plus « juste », car plus fiable puisque plus complète, exacte et efficace… à supposer que la notion de justice existe dans un monde déshumanisé…

Mais ce serait réduire le rôle de l’avocat et du juge à une simple fonction de compilation, de synthèse et d’analyse de données textuelles et jurisprudentielles. Ce serait oublier leur vocation à créer le droit, qu’ils interprètent et bousculent jusqu’à le modifier. Le droit n’est pas une science exacte. Il n’est pas non plus objectif. La vérité judiciaire n’existe pas. Ce n’est que l’autorité de la chose jugée.

La justice a besoin des hommes, qui l’éclairent par leur vision, leur sensibilité et leur humanité. Elle ne s’exerce pas seulement dans les prétoires. Le développement des modes de règlements amiables des différends et processus collaboratifs nécessitent l’intervention des parties et de professionnels dont l’expérience et l’intuition ne peuvent être remplacées par des algorithmes. Par l’automatisation d’un nombre croissant de tâches, les robots devraient donc conduire l’homme à transcender ses capacités intellectuelles. Dès lors, au lieu de craindre ou spéculer, si l’on se mettait simplement à rêver ?… Rêver d’un monde où l’Intelligence Artificielle et Biologique se combineraient pour nous amener à nous surpasser ; où la fulgurance des machines combinée au partage du savoir et à l’efficience des bases de données, nous permettrait de développer de nouvelles compétences, de dépasser nos limites et d’augmenter notre créativité ?