DROIT A LA PREUVE ET LIBERTES FONDAMENTALES.

En matière pénale, la recherche impérieuse de la vérité a toujours justifié que la preuve puisse être obtenue par un procédé déloyal.  Ce n’était pas le cas dans les procès civils, en vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve. La règle était celle de la moralité de la preuve. La production d’une preuve recueillie à l’insu de la personne ou par une manœuvre ou un stratagème était donc jugée irrecevable. Cette jurisprudence faisait prévaloir le respect de la dignité et les libertés fondamentales (respect de la vie privée, secret des correspondances…) sur le droit à la preuve. Ainsi, il n’était pas admis d’établir la preuve par un enregistrement clandestin (Cass. Civ. 2e, 7 oct. 2004, n° 03-12.653 ; Ass. Plén., 7 janv. 2011).  De la même manière, il avait été jugé que les messages personnels du salarié échangés grâce à un ordinateur professionnel, même malgré l’interdiction de l’employeur, ne pouvaient être valablement produits (Cass. soc. 2 oct. 2001, n°99-42.942).

Néanmoins, la digue a fini par céder. La jurisprudence a parfois admis la production d’une preuve illicite ou déloyale à deux conditions cumulatives : qu’elle soit indispensable et que l’atteinte portée à la vie privée soit proportionnée aux intérêts en présence (Cass. Civ. 1re, 5 avr. 2012, n° 11-14.177 ; Soc. 30 sept. 2020, n° 19-12.058). Par un arrêt inédit du 4 octobre 2023, la Cour de Cassation a ainsi considéré que les extraits du compte Messenger privé d’une infirmière montrant qu’elle participait en maillot de bain à des soirées alcoolisées au sein de l’hôpital étaient indispensables à la preuve et proportionnés au but poursuivi, à savoir la défense de l’employeur et la protection des patients (Cass. soc., 4 oct. 2023, n° 21-25.452).

Dès lors, un changement d’appréciation frémissait. Mais le revirement de jurisprudence a été définitivement opéré par deux arrêts de l’assemblée plénière du 22 décembre 2023. La Cour de Cassation affirme désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté de la preuve ne conduisent pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit apprécier si cette preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence. Le droit à la preuve peut ainsi justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à la manifestation de la vérité et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (Cass. Ass. Plen. 22 déc. 2023, n°20-20.648 et 21-11.330).

Elle justifie notamment sa décision par le fait que la loyauté de la preuve n’est requise, ni par l’article 6.1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, ni en matière pénale.

L’exigence de loyauté ou de licéité de la preuve n’est donc plus un principe intangible.

La portée de ce revirement est considérable, d’abord parce qu’il constitue une atteinte aux libertés fondamentales. Ensuite parce que cette solution a vocation à s’appliquer dans tous les procès où la preuve est libre : en droit social, en droit commercial ou encore en droit administratif. Il s’ensuit que des solutions qui semblaient acquises devraient ainsi être remises en cause, notamment celles rendues en droit du travail aux termes desquelles un employeur ne peut pas se prévaloir de la capture de messages privés ou d’enregistrements vidéo ou audio, réalisés à l’insu du salarié. Enfin, le contrôle de proportionnalité auquel les juges devront se livrer risque de donner lieu à des décisions contrastées voire contradictoires. Dans quels cas la preuve illicite ou déloyale était-elle indispensable à l’établissement des faits ou pouvait-elle être obtenue par d’autres moyens ? Quid de l’appréciation nécessairement très subjective des intérêts en présence et de la proportionnalité ? Beaucoup d’incertitudes donc. La jurisprudence n’a pas fini d’abonder…

L’EGALITE HOMMES-FEMMES : MYTHE OU REALITE ?

Que de chemin parcouru en deux siècles ! Il faut dire que nous partions de très loin. Souvenez-vous… Quelle est l’image de la femme deux cents ans en arrière ? Un corps souffrant, un être fragile ; Autant de préjugés hérités des discours populaires et religieux, issus du célèbre « tu enfanteras dans la douleur ».

De l’infirme à l’imbécile congénitale, il n’y avait qu’un pas. Le 19ème siècle l’a vite franchi ! En 1895, l’Académie des Sciences perce enfin le mystère de la débilité féminine : le cerveau de la femme est plus petit et donc beaucoup moins puissant que celui de l’homme. Il se caractérise par : « la discontinuité et l’incapacité de raisonnement et de logique ». Dans ces conditions, la femme doit être préservée de toute activité professionnelle qui ne pourrait que l’épuiser. En 1908, le journal toulousain « la Gazette d’Hygiène » n’affirme-t-il pas que le travail entraîne chez elle « l’usure de la santé, l’anémie cérébrale et le détraquement des nerfs » ?

Dépourvue de droits, la femme reste donc confinée au logis, à mettre au monde des enfants et les élever. On passe ainsi du stéréotype biblique de la pécheresse à celui de la reproductrice. Le Dictionnaire des Sciences Médicales confirme que « l’existence de la femme n’est qu’une fraction de celle de l’homme », qu’elle « ne vit pas pour elle-même mais pour la reproduction de l’espèce ». Son destin apparaît scellé à une existence de soumission, invariable depuis des millénaires.

Pourtant, grâce aux progrès de l’hygiène, de la science et du machinisme, les femmes vont commencer à s’émanciper des carcans biologiques et moraux traditionnels. Peu à peu, elles abandonnent leurs corsets, envahissent les usines et les ateliers, enfourchent des bicyclettes. Plus aucune activité manuelle ou physique ne les arrête ! Mais il faut attendre 1909 pour que le port du pantalon ne soit plus un délit, à condition que la femme ait en mains le guidon d’un vélo ou les rênes d’un cheval.

Certaines commencent même à étudier et obtenir le baccalauréat. La première en France est Melle Daubié, lycéenne à Lyon en 1861 et âgée de 37 ans au moment des épreuves ! Mais un bastion résiste : celui des études supérieures. Les femmes n’accéderont que très progressivement à l’université, d’abord comme auditeurs libres et longtemps sous les attaques et les quolibets, au point qu’elles doivent souvent se rendre aux cours accompagnées.

Permettez-moi de rendre hommage à Jeanne Chauvin, première femme diplômée en droit en 1890 dans notre pays. Première avocate aussi, puisqu’elle a l’audace de solliciter son inscription au Barreau. Elle n’y sera admise qu’onze ans plus tard, en 1901, au terme d’un combat judiciaire acharné. Il est vrai qu’on lui oppose des arguments de poids : la tradition, le silence de la loi, la majesté du prétoire et bien-sûr l’indépendance des juges. Ah ! Redoutable tentatrice qu’est la femme, à laquelle nuls juges ou adversaires ne sauraient résister !

Le chemin de l’égalité est encore long ! Mais le courage et l’héroïsme des femmes durant la Grande Guerre, qui contribueront à arracher la victoire, viendront pulvériser tous les clichés. La guerre de 14-18 marque en effet un tournant décisif. Comme le résume l’hommage vibrant rendu par le ministre Paul Deschanel à l’issu du conflit : « La femme française, en donnant les siens, s’est donnée elle-même sous toutes ses formes. Au sillon, à l’usine, à l’hôpital, à l’ambulance, à l’école, aux œuvres de guerre, elle a poussé jusqu’aux extrêmes limites l’esprit d’abnégation et de sacrifice ».

Bien que très lente, l’évolution va donc se poursuivre. Vous en connaissez les grandes étapes mais il ne me semble pas inutile d’en rappeler les principales dates :

  • 1944 : le droit de vote est accordé aux femmes.
  • 1965 : Elles peuvent désormais exercer une profession et ouvrir un compte bancaire à leur nom. La mixité est étendue à toutes les écoles élémentaires.
  • 1967 : la loi Neuwirth libéralise la contraception.
  • 1975 : Simone Veil parvient de haute lutte, à faire voter le droit à l’IVG. La même année, la loi Haby généralise la mixité dans tous les degrés de l’enseignement.
  • 1983 : la loi Roudy pose le principe de l’égalité hommes-femmes dans le champ professionnel.
  • 1991 : Une femme, Edith Cresson, est nommée Premier ministre.
  • 2006 : La loi sur l’égalité salariale vient lutter contre les discriminations au travail.
  • 2012 : La prévention et la sanction du harcèlement sexuel dans le monde professionnel sont renforcées.
  • 2021 : la loi relative à la bioéthique élargit la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires.

Aujourd’hui, en théorie, dans tous les domaines, la femme est donc libre et l’égalité réalisée. Mais qu’en est-il en fait ?

Sur le marché de l’emploi, la situation des femmes reste plus fragile. Elles travaillent plus souvent à temps partiel que les hommes ou dans des emplois peu rétribués. Et, lorsqu’elles parviennent à accéder à des professions supérieures, elles se heurtent à un plafond de verre qui les écarte des fonctions dirigeantes. Subsistent aussi des écarts de salaires importants à niveau égal entre hommes et femmes, de l’ordre de 24% ; ce que 2/3 des hommes âgés de 25 à 34 ans trouvent parfaitement normal selon le récent rapport sur l’état du sexisme en France.

Au plan familial, l’INSEE rapporte que les responsabilités familiales et les tâches domestiques restent globalement celles des femmes, même lorsqu’elles travaillent à l’extérieur. 

Quant à la sphère privée, si la femme est a priori libre de ses choix et de son corps, le machisme a la peau dure, comme l’a démontré le mouvement « ni putes, ni soumises ». Au-delà des quartiers sensibles, laquelle d’entre nous n’a jamais subi des remarques sexistes ou gestes déplacés, même s’ils sont heureusement le fait d’une minorité d’hommes ? Les violences intrafamiliales, dont 85% des victimes sont des femmes, demeurent nombreuses. Elles se sont même accentuées pendant la crise sanitaire. Quant aux violences sexuelles, on estime à environ 580.000 le nombre de viols et agressions sexuelles commis chaque année en France contre des femmes. Si le mouvement #MeToo a eu le mérite de libérer la parole des victimes, tout en faisant prendre conscience que la justice doit s’exercer dans les tribunaux, il a provoqué une contre-offensive misogyne inquiétante : paroles déconsidérées, violence tous azimuts sur les réseaux sociaux, diffamation. Si l’on ajoute à cette liste le cyber-harcèlement et l’accès banalisé à un déluge de pornographie, on comprend qu’en 2023, Amandine Clavaud, directrice des études de l’Observatoire Egalité Hommes-Femmes, ait jugé urgent d’alarmer les pouvoirs publics sur ces « signes très préoccupants de régression ». Pour nombre d’hommes, il reste en effet impensable de partager l’espace public, les postes, la culture, l’argent ou le pouvoir avec des femmes. J’en veux pour preuve les livres récents de Frédéric Beigbeder ou Emmanuel Todd. Cette conception a ses emblèmes : la nomination de deux ministres poursuivis pour agressions sexuelles en 2020 ou le cas Polanski. Alors que le cinéaste accusé de viols multiples avait renoncé sous la pression féministe à présider la cérémonie des Césars en 2017, il a reçu en 2020 le prix du meilleur réalisateur pour le film « J’accuse » consacré à l’affaire Dreyfus. Comment ne pas y voir le symbole désastreux d’une réhabilitation qui ne dit pas son nom ? Tout récemment, c’est l’acteur Depardieu qui, en dépit de ses frasques notoires, a été assuré du soutien du chef de l’Etat et d’une cinquantaine de célébrités. Le dernier rapport du Haut Conseil à l’Egalité publié le 22 janvier 2024 confirme la recrudescence alarmante du sexisme, notamment chez les jeunes et l’explosion du modèle de la « tradwife » sur les réseaux sociaux.  

Le phénomène n’est hélas pas propre à la France. L’ancien Président de la première puissance mondiale se vantait publiquement en 2005 de pouvoir « attraper les femmes par la chatte » grâce à sa seule notoriété. Un machisme décomplexé préfigurant le conservatisme à l’origine de la révocation de l’arrêt Roe vs. Wade en juin 2022, qui garantissait aux Etats-Unis le droit constitutionnel à l’avortement. Partout dans le monde, les droits des femmes reculent, de l’Italie de Georgia Meloni à la Hongrie, où un décret oblige les femmes à écouter battre le cœur du fœtus avant de recourir à une IVG. En Pologne, il est imposé aux médecins de déclarer toute femme enceinte sur un registre qui pourrait devenir un gigantesque instrument de surveillance, alors que l’avortement y est quasiment interdit. Même la Suède a renoncé à poursuivre sa diplomatie féministe, dont elle était pourtant pionnière ; Et ce, sans parler des filles effacées de la vie publique en Afghanistan ou de la répression massive des femmes en Iran. Au plan international, les trois dernières années se caractérisent donc par un spectaculaire recul des droits des femmes, au point que le Secrétaire Général de l’ONU Antonio Guterrez, a déclaré en mars 2023 que « Les progrès réalisés s’évanouissent sous nos yeux ». Au rythme actuel, il faudra attendre 300 ans avant d’atteindre l’égalité des genres selon l’organisation.

Alors ? L’égalité restera-t-elle un mythe ? Peut-on réellement espérer développer l’Humanité en ignorant ou dévalorisant plus de la moitié des êtres qui la composent ? Suffit-il de consacrer l’égalité dans la loi ou de constitutionnaliser le droit à l’avortement pour faire évoluer les mentalités ? Comment mettre un terme définitif aux différences sociales injustifiées, nourries par des différences biologiques et des siècles de préjugés ?

Nous savons tous que l’égalité est une nécessité et la diversité une richesse. La différence des sexes existe mais elle n’a pas lieu d’être oblitérée ou exacerbée. Le combat pour les droits des femmes n’est synonyme ni de rejet des hommes, ni la promotion de je-ne-sais quelle société puritaine ou asexuée. C’est simplement le combat pour l’indépendance, la liberté et le respect. En 1974, Simone de Beauvoir avait prévenu : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devez rester vigilantes. ». Effectivement, cinquante ans plus tard, à l’instar de Marie-Cécile Naves, directrice de l’Observatoire Genre et Géopolitique, force est de constater que « partout où la démocratie recule, partout où les droits humains reculent, ceux des femmes régressent en premier ».

Juger n’est pas jouer…

Pour commencer l’année dans la bonne humeur, que diriez-vous de quelques décisions insolites ? Ceux qui ont une vision rigide et austère du droit verront que la justice recèle parfois de belles pépites : autant d’affaires inattendues que de motivations inédites ! Que dis-je ? Un véritable émerveillement jurisprudentiel ! Jugez plutôt…

BULLDOZ’HAIR…

Doit être fermé le salon de coiffure dont les coiffeurs n’ont aucun diplôme en la matière et sont en fait des ouvriers du bâtiment.

Tribunal correctionnel de Pau, 14 juin 2021.

GARE A LA FAUSSE ROUTE…

Constitue un accident du travail le fait d’avaler de travers en déjeunant à son bureau lorsqu’une collègue vient demander un renseignement.

Cour de cassation, chambre sociale, 15 juin 1983, n°81-15.395.

Est condamné à 8 mois de prison avec sursis le marabout jugé pour excès de vitesse, quand bien même il serait « possédé par l’esprit de Michael Schumacher qui l’oblige à conduire comme un fou ».

Tribunal correctionnel de Perpignan, 23 mai 2019.

Est condamné à un an de prison avec sursis le chauffard qui, pour se venger du retrait de son permis de conduire, se fait flasher après avoir remplacé sa plaque d’immatriculation par celle du gendarme qui l’avait contrôlé.

Tribunal judiciaire de Troyes, 3 mars 2022.

COPAIN COMME COCHON…

Est condamné à 3 mois de prison celui qui adopte un cochon de compagnie auprès d’une association pour finalement en faire du pâté.

Tribunal correctionnel de Vannes, 4 avril 2020.

ILLUMINATIONS ?

Décorer la façade de son magasin de pompes funèbres avec « des guirlandes et des sapins de Noël en inscrivant Bonnes Fêtes n’est pas très commerçant ».

Tribunal de Commerce de Versailles, 3 octobre 2014, n° 2013F00975.

« Le gyrophare d’une voiture de police banalisée ne saurait être confondu avec un sapin de Noël lumineux tel qu’en ont les routiers, justifiant le refus d’obtempérer d’un automobiliste. »

Cour de cassation, chambre criminelle, 2 juillet 1992, 91-87.086.

UNE DERNIERE DOSE ?

Est condamné à 70 heures de travaux d’intérêt général, celui qui prend de la cocaïne en plein tribunal car « son rendez-vous avec le juge le stresse ».

Tribunal correctionnel de Nanterre, 14 décembre 2020.

Commet un harcèlement moral l’employeur qui offre à une salariée, absente plusieurs fois, « Le malade imaginaire » de Molière ainsi qu’un réveil en guise de cadeau de Noël.

Cour d’appel de Montpellier, 28 mai 2008, n° 08/00005.

Constitue un harcèlement moral le fait pour un supérieur hiérarchique d’installer une sonnerie disant « Y’a une grosse conne qui t’appelle  »,  chaque fois que sa salariée lui téléphone.

Cour d’appel de Douai, 27 juin 2014, n° 13/01953.

Commet un harcèlement moral l’employeur handicapé qui dit à son auxiliaire de vie : « J’ai du mal avec les prénoms, je peux t’appeler connasse ? ».

Cour d’appel de Montpellier, 22 novembre 2023, n° 21/01287.

N’est pas un harcèlement sexuel le fait d’offrir un paquet de pâtes en forme de sexe masculin à sa collègue.

Cour d’appel de Paris, 29 mars 2018, n°16/02751.

BONNE ANNEE 2024 !

Justice et laïcité : l’affaire Calas.

Aujourd’hui comme hier, l’intolérance tue. Rien ne l’illustre mieux que cette retentissante affaire survenue à Toulouse, le 13 octobre 1761.

Il est environ 23 heures lorsque le Capitoul David de Beaudrigue apprend qu’un drame s’est produit rue des Filatiers, dans la maison d’un mercier. Il se dépêche sur place et découvre gisant au sol, le corps sans vie de Marc-Antoine Calas portant au cou des marques de strangulation, sous les yeux hébétés de ses proches. Le jeune-homme de 29 ans s’est-il suicidé ou a-t-il été tué ? A ce stade, nul ne le sait. Mais la rumeur s’est déjà propagée et la clameur publique tient le nom du coupable. C’est son père, Jean Calas, qui l’a assassiné ! David de Beaudrigue embarque donc tous les présents. Il est vrai que le tort de cette famille ordinaire est d’être protestante, dans une ville qui avait désapprouvé l’Edit de Nantes et où depuis sa révocation, les Huguenots sont mal tolérés. Cette forte hostilité ne facilite pas l’instruction de l’affaire, d’autant que les suspects ne cessent de se contredire. Jean Calas, son épouse et leur fils Jean-Pierre, ont beau être soumis à la question ordinaire et extraordinaire, c’est-à-dire à la torture la plus poussée, aucun aveu ne peut leur être extorqué. On s’en remet donc au mode de preuve habituellement pratiqué par la justice de l’Ancien-Régime : l’appel public aux témoignages, dont tout juriste sait à quel point ils sont peu fiables, surtout dans un contexte aussi venimeux. Pas moins de 87 témoins qui n’ont évidemment rien vu sont ainsi entendus et sans surprise, c’est l’infanticide qui est retenu. La messe est dite. Jean Calas est jugé coupable du meurtre de son fils et condamné. Quant au mobile, il est évident. Il voulait empêcher son fils de se convertir au catholicisme. L’accusé clame son innocence jusqu’à son dernier souffle. Mais lorsque Place Saint-Georges, il finit par expirer sous les coups de barre de fer et après deux heures d’agonie sur la roue, l’affaire Calas n’est pas terminée. Elle ne fait que commencer.

Voltaire, d’abord convaincu de la culpabilité de l’accusé, voit sa curiosité affûtée en découvrant les détails du procès. Entouré des meilleurs avocats, il entreprend un long travail d’enquête minutieux en vérifiant un à un chaque élément du dossier. Désormais persuadé de l’erreur judiciaire, il se lance un défi prodigieux vu les faibles moyens de communication de l’époque : rétablir l’innocence de Jean Calas, en remuant ciel et terre et en dénonçant l’injustice, partout où il peut. Son entreprise est un succès puisqu’elle permet la révision du procès entaché de vices de procédure, en même temps que la publication de son célèbre « Traité sur la Tolérance ». Le 9 mars 1765, Jean Calas et sa famille sont définitivement réhabilités ; décision légitime compte tenu des irrégularités qui affectaient le procès.

Pour autant, les circonstances précises de la mort de Marc-Antoine ne sont toujours pas élucidées. Si pour nombre d’historiens, qui ne sont pas des spécialistes du crime, il n’y a pas lieu de s’interroger ; Ce n’est pas l’avis de certains pénalistes qui pensent que la justice a laissé des hypothèses de côté.

Marc-Antoine s’est-il suicidé ? C’est possible. On lui prêtait une âme sombre et mélancolique. Sa vocation d’avocat était aussi contrariée par sa religion protestante et l’impossibilité de produire le certificat de catholicité requis pour accomplir sa destinée. Il n’est pas non plus exclu que la famille ait voulu cacher sa fin tragique, pour éviter que la dépouille du jeune homme soit exposée à une infamante exhibition à travers la ville sur une claie ; sort habituellement réservé aux suicidés.

Jean Calas a-t-il tué son fils ? Pour feu Roger Merle, grande figure du Barreau toulousain et professeur de droit criminel à l’université, on ne peut l’écarter. Jean Calas était en conflit avec son fils, qui dérobait dans la boutique pour financer son addiction au jeu et il l’avait déjà violenté. Les cris entendus le soir même peuvent accréditer la thèse d’une nouvelle dispute qui aurait mal tourné. Les personnes présentes dans la maison avaient un intérêt évident à nier l’homicide, afin de ne pas être déclarées complices et échapper à la peine capitale.

Marc-Antoine a-t-il été tué par un tiers extérieur à la famille ? Cette hypothèse plausible aurait dû être explorée. Certes, la porte d’entrée était fermée le soir du meurtre. Elle n’a pas été fracturée et un loquet empêchait de l’ouvrir de l’extérieur. Mais on ne peut pas exclure que le criminel, proche de la victime, ait possédé une clé, soit entré plus tôt dans la journée et se soit caché, ou que Marc-Antoine lui-même l’ait introduit, avant d’être trucidé pour un motif inconnu et probablement étranger à toute considération religieuse.

Dès lors, l’unique certitude est que faute de preuve, Jean Calas ne pouvait pas être condamné. Son exécution due au seul fanatisme, s’est érigée en symbole national d’une éclatante erreur judiciaire.

En ces temps troublés, j’ai souhaité rendre hommage à cette victime emblématique de l’intolérance qui, comme tant d’autres, a sans doute contribué à l’évolution de notre droit et à la consécration moins de deux siècles plus tard, de la laïcité. A l’heure où l’intolérance fleurit de tous côtés et où la laïcité est menacée, n’est-il pas opportun de se remémorer ce sordide procès ? A l’évidence, c’était une autre époque et les règles juridiques ont changé, même si l’erreur judiciaire reste un risque inhérent à tout procès. De tous temps, certaines affaires, par manque de preuve ou instruction mal orientée, sont restées inexpliquées. L’actualité confirme hélas qu’il arrive encore que des innocents soient condamnés. Mais heureusement, l’intolérance ne fonde plus la preuve. L’écho tonitruant des injustices du passé a résonné.

Les préjugés et les certitudes ont toujours empêché la réflexion, la mesure, l’émancipation et le progrès. La laïcité est un rempart contre l’intolérance. A l’école, elle confère à tous et à égalité, la liberté de croire ou de ne pas croire, mais aussi à chacun la possibilité de s’extraire un instant de son carcan social, religieux ou idéologique, pour construire sa propre identité. Dans les tribunaux, elle est la condition de la neutralité indispensable à une justice impartiale et éclairée.

Quant à l’affaire Calas, chacun demeure libre de croire à la thèse du suicide, de ne pas y croire ou de douter…

Les victimes du vaccin Covid-19 face aux incertitudes du droit et de la science.

L’adage est connu. Mieux vaut prévenir que guérir. Néanmoins, si la majorité des scientifiques s’accorde sur le fait que les vaccins contre la Covid-19 sont efficaces et sans danger, la médecine n’est pas une science exacte. Tout acte médical comporte sa part de risque, même exceptionnel. La vaccination contre la Covid-19 n’échappe pas à la règle. Avec l’augmentation du nombre de personnes vaccinées, les autorités de pharmacovigilance semblent constater l’apparition de certains symptômes post-vaccinaux (accidents vasculaires, affections du système nerveux, problèmes cutanés, affections hématologiques, troubles de la vision ou de l’audition).

Pour obtenir réparation de son préjudice, la victime n’est pas tenue de rapporter la preuve d’une faute (faute du professionnel lors de l’injection ou preuve de la nocivité du vaccin) ; ce qui serait quasi impossible pour un non sachant, confronté à la puissance de laboratoires multinationaux dotés de toutes les autorisations nécessaires à la commercialisation du produit.

La Loi du 1er juillet 1964 a en effet instauré un régime particulier de responsabilité sans faute pour une liste limitative de vaccins dits obligatoires, même s’ils ne le sont pas toujours… (antidiphtérique, antitétanique, antipoliomyélitique, anti rougeole, rubéole, oreillons, hépatite B, etc.). Ce régime prévoit la réparation intégrale des préjudices directement imputables à ces vaccins par l’ONIAM (Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales).

Toutefois, dans leurs tâtonnements et incohérences pour gérer la crise du Coronavirus, les pouvoirs publics ont encore failli en omettant d’inclure le vaccin Covid-19 dans la liste précitée.

La victime du vaccin Covid-19 n’est pas pour autant démunie. Elle peut demander réparation sur le fondement de l’article L3131-4 du Code de la santé publique, qui prévoit l’indemnisation des seuls préjudices directement causés par la vaccination. Faute d’anticipation de l’Etat sur les contentieux à venir, il reviendra alors au juge de préciser les conditions d’une indemnisation.

Pour les victimes du vaccin Covid-19, il s’agira donc de préciser les critères établissant un lien de causalité direct entre le préjudice subi et la vaccination.

Par analogie avec la jurisprudence développée en matière de vaccination contre l’hépatite B, quatre critères devraient être déterminants.

  1. La temporalité, c’est-à-dire l’apparition des symptômes dans un bref délai après la vaccination. Mais quid de la durée de ce bref délai (cinq mois ? six mois ?) et des affections qui pourraient se révéler à plus long terme selon certains scientifiques ?
  2. L’état de santé du patient avant la vaccination ou l’absence d’antécédents médicaux ; ce qui devrait exclure les patients particulièrement fragiles, pourtant les plus encouragés à se faire vacciner.
  3. Le développement normal de la maladie suite à l’apparition des symptômes ; l’indemnisation n’ayant pas vocation à réparer des troubles ponctuels ou transitoires.
  4. Une affection scientifiquement identifiée comme étant en lien avec le vaccin.

Le temps de la justice n’étant pas celui de la médecine, l’action en indemnisation demeure donc incertaine. Pour autant, elle n’est pas vaine et s’avère nécessaire pour faire triompher le droit sur les incertitudes de la science.

Honoraires et crustacés.

A la faveur de l’été, notre droit aurait-il adopté la démarche du crabe ?

Aux termes de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 dans sa rédaction initiale, à défaut de convention entre les parties, les honoraires devaient être fixés « selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci ».

Puis la Loi Macron du 6 août 2015 est venue modifier cet article en imposant l’obligation pour l’avocat de conclure par écrit avec son client, une convention précisant notamment le montant ou le mode de détermination des honoraires, les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés.
En vertu de ce nouveau texte, il n’était possible de déroger à l’obligation de conclure une convention d’honoraires qu’en cas d’urgence ou de force majeure.

Ces nouvelles règles ont donné lieu à des décisions de justice surprenantes, aux termes desquelles l’avocat se trouvait privé de rémunération pour son travail, faute de convention signée avec le client.

Par un arrêt du 14 juin 2018, la Cour de cassation s’est finalement prononcée en faveur du droit de l’avocat à un honoraire en l’absence de convention d’honoraires, malgré l’obligation légale imposée par la loi du 6 août 2015. Cet arrêt précise qu’en l’absence de convention, l’honoraire doit être fixé « en tenant compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci. »(Cass. 2e Civ. 14.06.2017, n° 17-19709). Etonnant non ?!

Si cette jurisprudence se maintient, les avocats négligents pourront par conséquent être rétribués pour leurs diligences. Reste que conformément à la loi, il est toujours préférable de contractualiser l’honoraire pour sécuriser le client et éviter l’aléa judiciaire induit par les critères d’appréciation posés par l’article 10.

Bonne rentrée à tous !

Caroline PONS-DINNEWETH, Avocat à la Cour

Quelle justice demain ?

On sait les avocats contestataires par nature. Mais en ce mois d’avril 2018, ils ne sont pas seuls à se mobiliser contre le projet de loi de programmation pour la justice proposé sans concertation par le gouvernement. L’ensemble des professions judiciaires : magistrats, greffiers et avocats, dénonce depuis plusieurs semaines tant la méthode de cette réforme, menée sans réflexion et au pas de charge, que le contenu du projet, préjudiciable aux droits de la défense, des victimes et plus généralement du justiciable. Après plusieurs jours d’une grève très suivie, bien qu’un peu occultée par celle des cheminots, une journée de mobilisation nationale et unitaire est prévue le 11 avril, afin que la modernisation, certes nécessaire de l’institution, ne se traduise pas par une nouvelle dégradation du service de la justice.

Les points du projet principalement contestés sont les suivants :

  • L’atteinte portée aux droits de la victime :

En portant de 3 à 6 mois le délai du Procureur de la République pour répondre à une plainte pénale, puis en exigeant un recours hiérarchique devant le Procureur Général en cas de classement sans suite, et en autorisant le juge d’instruction à refuser la plainte avec constitution de partie civile lorsque la citation directe devant le Tribunal est possible.

  • L’atteinte aux droits de la défense par la création du tribunal criminel départemental composé de magistrats au lieu d’un jury populaire :

Ce projet aboutit à une extension de la correctionnalisation pour tous les crimes. Il fait primer la gestion des flux et l’approche budgétaire sur la qualité du procès d’assises (diminution de l’oralité au détriment des droits de la défense). Ce n’est plus une réforme judiciaire, mais une rupture culturelle. En faisant des électeurs des jurés, nos institutions offraient la garantie d’un procès juste et équitable afin que le Tribunal ne se transforme pas en une juridiction de la seule accusation, comme on le voit parfois devant certains tribunaux, où le sort du prévenu est déjà scellé, le débat écarté, l’espoir anéanti.

  • Une déjudiciarisation par une véritable privatisation de la justice, faisant primer une réduction des moyens qui aboutit à une justice sans juge, sans avocat et sans justiciable :
    • En envisageant la participation au service public de la justice de plateformes proposant une résolution des litiges par un traitement algorithmique ;
    • En prévoyant le règlement des petits litiges par voie dématérialisée, sans audience même si une partie le demande ;
    • En confiant aux directeurs de CAF le traitement des litiges portant sur la modification du montant d’une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants ;
    • En supprimant, en matière de divorce, la possibilité pour les époux d’être entendus dès le début de l’instance alors même qu’à ce stade, un dialogue entre le magistrat et les époux assistés de leurs avocats, est une nécessité reconnue par tous.
  • La création de déserts judiciaires par le regroupement des juridictions qui n’apportent ni garantie en matière de qualité de la justice ni réduction des coûts (avec au contraire une augmentation des frais de défense – et donc du budget de l’aide juridictionnelle – induits par l’allongement des déplacements des avocats).

Complexité, lenteur des procédures, manque de moyens, personne ne conteste que l’institution judiciaire nécessite une réforme et doive se moderniser. Mais cette modernisation doit-elle s’effectuer au détriment du justiciable ? Ne doit-on avoir qu’une vision statistique de la justice ?

Caroline Pons-Dinneweth, Avocat à la Cour

 

Succession de Johnny Hallyday : Peut-on déshériter ses enfants ?

Une chose est sûre : après un hommage aussi national que populaire, le rockeur français continuera à faire parler de lui longtemps après sa mort ! L’annonce par Laura Smet et David Hallyday de l’existence d’un testament établi en Californie par leur père quatre ans avant son décès, manifestant sa volonté de soumettre sa succession au droit américain et de les déshériter au profit de sa dernière épouse, alimente en effet  un feuilleton médiatico-judiciaire qui n’est pas prêt de s’arrêter !  Au-delà des considérations d’ordre moral  ou « people », cette affaire soulève d’intéressantes questions juridiques, notamment quant à la détermination du droit applicable et la portée du principe français de la réserve héréditaire dans l’ordre international.

Le droit français protège en effet certains héritiers dits réservataires – dont les enfants – en leur attribuant impérativement une portion de la succession ; règle d’ordre public à laquelle il est impossible de déroger. Dans l’affaire récente et assez similaire de la succession du compositeur Maurice Jarre (qui avait lui-aussi déshérité ses enfants au profit de sa dernière épouse par un testament californien), la Cour de Cassation a néanmoins jugé en septembre 2017 que la réserve héréditaire n’est pas un principe du droit français protégé par l’ordre public international, de sorte que la loi étrangère peut le méconnaître si son application n’est pas incompatible avec les principes essentiels du droit français (Cass. Civ. 1ère, 27 sept.2017, n°16-17.198). En l’espèce, la Cour avait relevé que les enfants du défunt, Jean-Michel Jarre et sa sœur Stéphanie, n’indiquaient pas être dans une situation de précarité économique et de besoin. Les enfants de Johnny Hallyday devront donc établir la violation d’un principe essentiel du droit français pour faire appliquer leur réserve héréditaire en dépit de l’application du droit californien et convaincre les juges que cette exhérédation leur cause un préjudice trop important ; ce qui pourrait être compliqué en l’absence de difficultés financières.

Quant à la détermination du droit applicable à la succession, la question est particulièrement intéressante au cas particulier. La règle de conflit désigne en effet comme loi applicable celle de la résidence habituelle du défunt. La question est d’autant plus importante que les biens immobiliers ne sont plus régis par la loi du lieu où ils se trouvent depuis le principe d’unicité de la loi successorale édicté par le Règlement européen n°650/2012, qui prévoit que la loi de la dernière résidence habituelle du défunt s’applique désormais pour tous les biens dépendant de la succession, meubles et immeubles. Selon la Cour de Cassation, cette notion de résidence habituelle s’entend comme « le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts » (Cass. Civ.1ère,  14 déc. 2005, n°05-10.951). Dans le cas de Maurice Jarre, l’application du droit américain soulevait moins de difficultés puisque celui-ci avait établi sa résidence aux USA de manière stable depuis les années 50. En ce qui concerne Johnny Hallyday,  la situation est plus litigieuse puisque celui-ci s’était certes établi depuis plusieurs années en Californie et était résident fiscal américain. Cependant, il résidait aussi régulièrement dans ses propriétés françaises de Saint-Barthélemy et Marnes-la-Coquette, où il a manifestement choisi de terminer sa vie se sachant atteint d’une très grave maladie et après s’être fait soigner à Paris. Ses obsèques nationales ont aussi eu lieu en France, où il réalisait probablement l’essentiel de ses revenus. Il sera donc intéressant de connaître la décision qui sera définitivement rendue sur cette question. Il en va de même de celle qui tranchera la contestation relative à un éventuel abus de faiblesse, bien qu’elle ait moins de chance d’aboutir s’agissant d’un testament établi en 2014.

Faute de règlement amiable, qui aurait pourtant le mérite de permettre à chacun de vivre largement à l’abri du besoin pour le restant de ses jours, en préservant sa réputation et sa tranquillité, le feuilleton se poursuivra donc, avec une seule certitude… L’argent rendra toujours fous, ceux qui en ont comme ceux qui n’en ont pas !

Caroline Pons-Dinneweth

Avocat à la Cour

Le droit d’importuner ?

On croyait les femmes unies dans la défense de leur cause… pas en France manifestement ! C’est en tout cas ce que révèle le tollé provoqué par le mouvement # Me too / # Balance ton porc et la tribune publiée par des célébrités dans « le Monde » du 9 janvier 2018. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les opinions divergent et comme l’écrivait Desproges : « diverge, c’est beaucoup » ! Les unes dénoncent le retour au puritanisme, une tendance généralisée à la délation, la victimisation systématique des femmes qui serait contraire à leur autonomie et revendiquent, au nom de la liberté d’aimer, le « droit d’importuner ». Les autres leur reprochent de nier la souffrance des victimes d’agression sexuelle et d’encourager la soumission et le machisme. Aussi contestable soit-il, le combat courageux initié par ces femmes américaines sur les réseaux sociaux aura au moins eu le mérite de créer le débat, de libérer la parole des femmes et de faire entendre celle des victimes. Il aura en même temps rappelé que l’on ne peut se faire justice à soi-même et que les procès doivent se tenir dans les tribunaux. Reste que la défense des droits des femmes n’est pas synonyme de haine des hommes et que l’on peut défendre la liberté de séduire et d’aimer, sans pour autant accepter d’être réduite à l’état d’objet. Les agressions physiques font toujours des ravages affectifs et psychologiques. Les victimes de viol et de violence ne font qu’en témoigner. Ces infractions ne peuvent donc être minimisées. Quant à la question de savoir où commence l’atteinte, du simple regard jusqu’au frottement inapproprié ou au baiser volé, la réponse peut être aisément apportée. Le modèle idéal n’est sûrement pas celui d’une société puritaine où personne ne pourrait manifester la moindre attirance sous peine de se voir poursuivi ou condamné. Il n’est pas davantage celui d’une société libertaire, où au nom de je ne sais quelle autonomie ou liberté, la femme devrait se résoudre à être infériorisée ou abusée. Il est sans doute celui d’une société simplement éduquée, où chacun serait libre d’exprimer son désir ou ses sentiments avec respect, conscient que la limite à ne pas dépasser est l’absence de consentement de l’autre.

Serai-je remplacée par un robot ?

A l’heure où les métros, drones et autres engins terrestres ou aériens se pilotent seuls, où l’Intelligence Artificielle envahit le monde, où un célèbre champion du jeu de Go vient d’être piteusement battu par une machine, nous savons que nous devrons bientôt inventer un nouveau modèle économique car de nombreux métiers disparaîtront. Les professions dites intellectuelles ne sont pas épargnées, puisque le diagnostic du médecin, le geste du chirurgien, l’expertise du juriste pourront être remplacés par l’intervention plus sûre de la machine. Exit les juges et les avocats ! Vive l’avènement d’une justice simple et rapide d’un simple clic sur un écran d’ordinateur ! Tout un programme… en somme !

Tandis que les uns s’inquiètent – ou dorment – les autres : les « modernes » s’enthousiasment. Ils rêvent déjà de s’affranchir de cette cohorte de juristes : fonctionnaires, salariés ou prestataires couteux (en oubliant au passage les gains ou économies qu’ils leur permettent de réaliser). Certains imaginent même les profits qu’ils pourraient retirer de l’utilisation des machines.

Un article paru dans les Echos en 2016 proposait de confier la justice à des robots (Les Echos 21/09/2016, L. Alexandre, O. Babeau « Confions la justice à l’intelligence artificielle »).

Au Royaume-Uni, un rapport de l’administration proposait déjà en 2015 de créer un tribunal civil en ligne, où les discussions et le jugement seraient automatisés. On y voit l’avantage d’une justice plus rapide et plus « juste », car plus fiable puisque plus complète, exacte et efficace… à supposer que la notion de justice existe dans un monde déshumanisé…

Mais ce serait réduire le rôle de l’avocat et du juge à une simple fonction de compilation, de synthèse et d’analyse de données textuelles et jurisprudentielles. Ce serait oublier leur vocation à créer le droit, qu’ils interprètent et bousculent jusqu’à le modifier. Le droit n’est pas une science exacte. Il n’est pas non plus objectif. La vérité judiciaire n’existe pas. Ce n’est que l’autorité de la chose jugée.

La justice a besoin des hommes, qui l’éclairent par leur vision, leur sensibilité et leur humanité. Elle ne s’exerce pas seulement dans les prétoires. Le développement des modes de règlements amiables des différends et processus collaboratifs nécessitent l’intervention des parties et de professionnels dont l’expérience et l’intuition ne peuvent être remplacées par des algorithmes. Par l’automatisation d’un nombre croissant de tâches, les robots devraient donc conduire l’homme à transcender ses capacités intellectuelles. Dès lors, au lieu de craindre ou spéculer, si l’on se mettait simplement à rêver ?… Rêver d’un monde où l’Intelligence Artificielle et Biologique se combineraient pour nous amener à nous surpasser ; où la fulgurance des machines combinée au partage du savoir et à l’efficience des bases de données, nous permettrait de développer de nouvelles compétences, de dépasser nos limites et d’augmenter notre créativité ?