Attention au licenciement causé par les propos tenus par le salarié !

Face à des remarques trop critiques du salarié ou une obstruction systématique, l’employeur peut être tenté de le licencier. Il devra alors être extrêmement prudent car si certains motifs constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement, d’autres entraînent sa nullité ; ce qui peut alourdir sensiblement les indemnités qu’il serait condamné à lui payer.

L’employeur devra en particulier bien motiver la lettre de licenciement puisque c’est elle qui fixe le cadre du litige, et vérifier la qualification donnée aux faits. En effet, les risques ne sont pas les mêmes selon qu’il s’agit d’une insubordination caractérisée, d’une perte de confiance ou de propos certes désagréables ou pénibles mais parfaitement autorisés.

L’insubordination suppose des faits concrets manifestant le refus du salarié d’exécuter les missions qui lui sont confiées. Elle justifie le licenciement et peut même dans certains cas constituer une faute grave.

Tel n’est pas le cas de la perte de confiance, dont l’appréciation est nécessairement subjective si bien que de jurisprudence constante, elle « ne peut jamais constituer en tant que telle une cause de licenciement, même quand elle repose sur des éléments objectifs. Seuls des éléments objectifs peuvent, le cas échéant, constituer une cause de licenciement, mais non la perte de confiance qui a pu en résulter pour l’employeur » (Cass. Soc 29 mai 2001, n° 98-46341).

Quant aux propos critiques du salarié, manifestant son désaccord ou son opposition, ils ne sauraient fonder un licenciement et peuvent entraîner sa nullité, pour violation d’une liberté fondamentale : la liberté d’expression du salarié dans l’entreprise.

L’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales dispose en effet que toute personne a droit à la liberté d’expression.

Cette liberté a une valeur constitutionnelle puisqu’elle figure à l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et à l’article 5 du préambule de la Constitution de 1946. Elle consacre le droit fondamental de chacun de communiquer librement ses pensées et opinions, sans pouvoir être lésé dans son travail ou son emploi.

Selon l’article L 1121-1 du Code du travail : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature des tâches à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

La jurisprudence réaffirme constamment que la violation de la liberté d’expression, droit fondamental du salarié dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, entraîne sauf abus, la nullité du licenciement.

Le salarié est d’autant mieux fondé à s’exprimer librement qu’il exerce des fonctions d’encadrement impliquant la responsabilité d’assurer la bonne marche du service, la cohésion, la stabilité des équipes et la satisfaction des clients.

L’expression d’opinions, de réserves, de craintes, de divergences de vue, de critiques ou de propositions fait naturellement partie de la liberté d’expression et ne peut donc être sanctionnée sauf abus.

Selon la Cour de cassation, l’abus ou le caractère disproportionné sont caractérisés par l’emploi de propos injurieux, diffamants ou excessifs.

Cette appréciation est stricte. C’est pourquoi il a été jugé que les propos suivants, tenus par le salarié, ne caractérisaient pas un abus mais un simple usage de sa liberté d’expression :

  • « Un PDG en mode panique » ; « Une équipe de direction qui ne comprend plus son PDG » ; « Un PDG visiblement reparti sur une paranoïa aigüe (Cass. soc., 15 mai 2019, n° 17-20.615).
  • « 4 ans de non-gestion où le groupe a renié des valeurs aussi essentielles que sécurité et éthique » ; « Le management mis en place avant mon arrivée est incompétent, gravement incompétent » ; « Personne n’est à la hauteur » (Cass. soc., 29 juin 2022, n° 20-16.060). 
  • La dénonciation de faits de harcèlement moral par le salarié, bien que les faits n’aient pas été qualifiés » (Cass. Soc., 19 avr. 2023, n°21-21.053).
  • L’hostilité manifestée par le salarié à l’égard de la personne chargée de mettre en œuvre la réorganisation de l’agence dont il était responsable et sa désapprobation de la réorganisation (Cass. Soc., 14 févr. 2024, n°22-17.332).

Au visa de l’article L 1235-3-1 du Code du Travail, le salariévictime d’un licenciement nul qui ne demande pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l’entreprise, d’une part, aux indemnités de rupture et d’autre part, à une indemnité au moins égale aux six derniers mois de salaire. 

Mais attention, seuls les propos émis personnellement par le salarié sont protégés par la liberté d’expression et non ceux tenus par son avocat, même s’ils reflétaient ses doléances. C’est ce que vient de préciser la Cour de Cassation dans un arrêt du 10 septembre 2025 concernant un courrier adressé par l’avocat du salarié à l’employeur (Cass. Soc., n°24-12595 FSB).

Caroline Pons-Dinneweth

L’impact de la réforme des nullités en cas d’exclusion d’un associé.

La réforme des nullités en droit des sociétés qui entrera en vigueur le 1ᵉʳ octobre 2025 tend à limiter l’annulation des décisions sociales et à préserver la stabilité de la société. En effet, aux termes du nouvel article 1844-12-1 du Code Civil, une décision ne pourra être annulée que si trois conditions cumulatives sont remplies :

  • L’irrégularité a privé un associé d’un droit essentiel.
  • Cette irrégularité a influencé ou pu influencer le résultat de la délibération.
  • L’annulation n’a pas de conséquences excessives pour l’intérêt social.

Ce triple contrôle devrait renforcer la sécurité juridique après l’exclusion d’un associé dont l’éviction a ensuite été annulée. En effet, dans la plupart des sociétés, il est possible de prévoir dans les statuts l’exclusion d’un associé. Cette clause est parfaitement légale à condition qu’elle soit suffisamment précise et ne conduise pas à une éviction arbitraire. Néanmoins, le problème réside dans le fait que si l’exclusion vient ensuite à être annulée par le juge, l’associé retrouve rétroactivement sa qualité comme si l’éviction n’était jamais intervenue, si bien qu’il peut contester toutes les décisions sociales prises depuis son exclusion, faute d’avoir été convoqué aux assemblées (cause classique de nullité). Cet effet rétroactif créé donc un risque de nullités en cascade et une forte insécurité juridique.

En limitant les effets de cette rétroactivité, la réforme d’octobre 2025 représente par conséquent une avancée majeure. L’introduction du triple test de proportionnalité est de nature à éviter des conséquences particulièrement lourdes dans certains cas (par exemple, l’annulation du recours à un financement, d’une augmentation de capital ou d’un changement nécessaire de dirigeant).

Ce nouveau régime tend ainsi à préserver la stabilité de la société et des affaires. A l’instar des règles en vigueur chez la plupart de nos voisins européens (notamment britanniques, allemands et italiens), il traduit la volonté du législateur de trouver un équilibre entre le respect des droits individuels et la sécurité de la vie sociale.

Néanmoins, si la réforme de 2025 renforce la stabilité, le risque d’annulation n’est pas pour autant écarté, si bien que la prudence reste de mise pour anticiper les contentieux.

Cette vigilance commande de :

  • Sécuriser les clauses statutaires d’exclusion et veiller à la régularité des procédures.
  • Assurer une bonne communication interne et conserver la preuve écrite des échanges.
  • Préciser les délais et conditions de rachat des titres pour limiter les litiges sur le prix.
  • Prévoir une stipulation qui limite les effets rétroactifs d’une annulation, en se fondant sur les critères issus de la réforme de 2025.

Une meilleure confidentialité des dirigeants ?

L’insécurité liée à la captation des données personnelles s’est accentuée avec le développement du numérique et de l’intelligence artificielle. Les dirigeants d’entreprises et certains associés se trouvent ainsi exposés à des risques accrus d’usurpation d’identité et d’abus en tous genres (harcèlement, menaces), du fait de la publication de leur adresse personnelle dans les registres publics (RCS, RNE…).

Le décret du 22 août 2025, entré en vigueur le 25 août 2025, vise à assurer une meilleure protection de ces données personnelles, jusqu’ici accessibles à quiconque d’un simple clic. Il vise deux catégories de personnes :

  • Les dirigeants de personnes morales (gérants, présidents, directeurs généraux…)
  • Lesassociés indéfiniment responsables des sociétés en nom collectif et en commandite simple.

Il leur est désormais possible de demander à tout moment la confidentialité de leur domicile personnel, via le guichet unique géré par l’INPI ou le greffe du Tribunal de Commerce.

A réception de la demande, matérialisée par la délivrance d’un récépissé, le greffier doit traiter la demande dans les 5 joursouvrables. A défaut, le demandeur peut saisir le juge commis à la surveillance du registre.

Lorsque la demande porte sur un acte visé à l’article R. 123-102 du Code de Commerce (copies certifiées conformes par le représentant légal de la société), elle doit être accompagnée d’une copie de l’acte occultant la mention de l’adresse personnelle du demandeur. Cette copie doit être publiée par le greffier en remplacement du document original, qui est conservé à titre de pièce justificative.

L’adresse originale reste ainsi accessible uniquement à un nombre restreint de personnes (institutions, administrations, créanciers, commissaires de justice, notaires, mandataires judiciaires).

Ce décret s’inscrit dans la continuité des règles européennes sur la protection des données. Il représente une évolution incontestable mais son efficacité demeure limitée pour les raisons suivantes :

  • La confidentialité ne s’applique qu’aux dirigeants actuels, à l’exclusion des anciens dirigeants dont les données restent exposées.
  • Seule l’adresse personnelle est concernée ; ce qui limite la portée pour les dirigeants dont le domicile fait aussi office de siège social.
  • Seul le Registre du Commerce et des Sociétés est principalement concerné et non d’autres registres sensibles, tels que le registre des bénéficiaires effectifs par exemple ; ce qui permet donc l’accès aux données personnelles.

La médiation : la solution en cas de harcèlement moral ?

Le travail donne parfois lieu à des relations conflictuelles, perçues à tort ou à raison comme du harcèlement moral.

Le Code du travail donne précisément la définition du harcèlement moral. Il est constitué par trois conditions cumulatives :

  • des agissements répétés,
  • dégradant les conditions de travail (matérielles, humaines ou relationnelles),
  • et affectant la santé de la victime et son avenir professionnel.

Il se distingue donc du simple conflit et implique de la part de l’auteur une intention de nuire. La preuve du harcèlement moral est généralement difficile à rapporter, notamment le caractère répété des agissements en l’absence de témoins ou si les autres membres du personnel répugnent à attester. La preuve du lien de causalité entre les comportements reprochés et les répercussions néfastes sur les conditions de travail et la santé du salarié pose aussi une difficulté. En effet, le médecin traitant comme le médecin du travail ne peuvent que relater les griefs du salarié sans possibilité d’établir avec certitude le lien avec des faits intervenus pendant le travail, dont ils n’ont pas eux-mêmes été témoins.

La solution du procès apparaît donc assez aléatoire et peu adaptée vu la lenteur judiciaire. Il est en effet à craindre que le climat délétère perdure tant que l’affaire n’a pas été jugée et l’auteur des faits sanctionné.

Deux autres alternatives s’offrent alors à la victime. La première est de signaler le plus vite les faits à sa hiérarchie. L’employeur étant responsable de la santé physique et psychique de ses salariés, il a l’obligation de prendre toutes les dispositions nécessaires pour prévenir le harcèlement moral ou sexuel. Il lui incombe en particulier de procéder à une enquête et à des investigations pour établir les faits et prendre les mesures appropriées. Le Code du travail ne précise pas la manière dont ces investigations doivent être menées. L’article L 1154-1 impose seulement au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et à l’autre partie, au vu de ces éléments, de prouver que les agissements visés ne sont pas constitutifs de harcèlement et justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute volonté de nuire.

La seconde solution est de faire une demande de médiation, au visa de l’article L1152-6 du Code du Travail. La jurisprudence considère en effet que l’employeur a le devoir de la mettre en œuvre si un salarié en fait la demande. L’employeur peut lui-même avoir intérêt à la proposer car elle permet une appréhension rapide, peu onéreuse, confidentielle et constructive du conflit.

Fondée sur leur volonté et leur coopération, la médiation a pour but d’amener les parties à trouver elles-mêmes la solution à leur litige avec l’aide d’un professionnel neutre et indépendant, spécialement formé à la médiation. C’est un procédé gagnant/gagnant puisque son taux de réussite est considérable (en moyenne supérieur à 70 %). Parmi ses nombreux avantages, la médiation est une solution contradictoire, respectueuse du ressenti et de la parole de chaque partie qui, avec l’aide du médiateur parviendra à dépassionner le conflit, pour déterminer de manière plus objective et pragmatique les solutions qui le régleront de manière définitive. Elle permet donc aux parties de se réapproprier la gestion de leur différend en trouvant elles-mêmes les solutions d’un accord durable. Elle aboutit parfois à des solutions ou alternatives originales qu’un juge ne pourrait pas ordonner. Elle présente un intérêt évident dans toutes les situations où les parties ont vocation à poursuivre leurs relations. La médiation est donc un mode de règlement amiable particulièrement adapté aux conflits du travail, à ne pas négliger.

Droit à la preuve et libertés fondamentales.

En matière pénale, la recherche impérieuse de la vérité a toujours justifié que la preuve puisse être obtenue par un procédé déloyal.  Ce n’était pas le cas dans les procès civils, en vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve. La règle était celle de la moralité de la preuve. La production d’une preuve recueillie à l’insu de la personne ou par une manœuvre ou un stratagème était donc jugée irrecevable. Cette jurisprudence faisait prévaloir le respect de la dignité et les libertés fondamentales (respect de la vie privée, secret des correspondances…) sur le droit à la preuve. Ainsi, il n’était pas admis d’établir la preuve par un enregistrement clandestin (Cass. Civ. 2e, 7 oct. 2004, n° 03-12.653 ; Ass. Plén., 7 janv. 2011).  De la même manière, il avait été jugé que les messages personnels du salarié échangés grâce à un ordinateur professionnel, même malgré l’interdiction de l’employeur, ne pouvaient être valablement produits (Cass. soc. 2 oct. 2001, n°99-42.942).

Néanmoins, la digue a fini par céder. La jurisprudence a parfois admis la production d’une preuve illicite ou déloyale à deux conditions cumulatives : qu’elle soit indispensable et que l’atteinte portée à la vie privée soit proportionnée aux intérêts en présence (Cass. Civ. 1re, 5 avr. 2012, n° 11-14.177 ; Soc. 30 sept. 2020, n° 19-12.058). Par un arrêt inédit du 4 octobre 2023, la Cour de Cassation a ainsi considéré que les extraits du compte Messenger privé d’une infirmière montrant qu’elle participait en maillot de bain à des soirées alcoolisées au sein de l’hôpital étaient indispensables à la preuve et proportionnés au but poursuivi, à savoir la défense de l’employeur et la protection des patients (Cass. soc., 4 oct. 2023, n° 21-25.452).

Dès lors, un changement d’appréciation frémissait. Mais le revirement de jurisprudence a été définitivement opéré par deux arrêts de l’assemblée plénière du 22 décembre 2023. La Cour de Cassation affirme désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté de la preuve ne conduisent pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit apprécier si cette preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence. Le droit à la preuve peut ainsi justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à la manifestation de la vérité et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi (Cass. Ass. Plen. 22 déc. 2023, n°20-20.648 et 21-11.330).

Elle justifie notamment sa décision par le fait que la loyauté de la preuve n’est requise, ni par l’article 6.1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, ni en matière pénale.

L’exigence de loyauté ou de licéité de la preuve n’est donc plus un principe intangible.

La portée de ce revirement est considérable, d’abord parce qu’il constitue une atteinte aux libertés fondamentales. Ensuite parce que cette solution a vocation à s’appliquer dans tous les procès où la preuve est libre : en droit social, en droit commercial ou encore en droit administratif. Il s’ensuit que des solutions qui semblaient acquises devraient ainsi être remises en cause, notamment celles rendues en droit du travail aux termes desquelles un employeur ne peut pas se prévaloir de la capture de messages privés ou d’enregistrements vidéo ou audio, réalisés à l’insu du salarié. Enfin, le contrôle de proportionnalité auquel les juges devront se livrer risque de donner lieu à des décisions contrastées voire contradictoires. Dans quels cas la preuve illicite ou déloyale était-elle indispensable à l’établissement des faits ou pouvait-elle être obtenue par d’autres moyens ? Quid de l’appréciation nécessairement très subjective des intérêts en présence et de la proportionnalité ? Beaucoup d’incertitudes donc. La jurisprudence n’a pas fini d’abonder…

L’égalité hommes-femmes : mythe ou réalité ?

Que de chemin parcouru en deux siècles ! Il faut dire que nous partions de très loin. Souvenez-vous… Quelle est l’image de la femme deux cents ans en arrière ? Un corps souffrant, un être fragile ; Autant de préjugés hérités des discours populaires et religieux, issus du célèbre « tu enfanteras dans la douleur ».

De l’infirme à l’imbécile congénitale, il n’y avait qu’un pas. Le 19ème siècle l’a vite franchi ! En 1895, l’Académie des Sciences perce enfin le mystère de la débilité féminine : le cerveau de la femme est plus petit et donc beaucoup moins puissant que celui de l’homme. Il se caractérise par : « la discontinuité et l’incapacité de raisonnement et de logique ». Dans ces conditions, la femme doit être préservée de toute activité professionnelle qui ne pourrait que l’épuiser. En 1908, le journal toulousain « la Gazette d’Hygiène » n’affirme-t-il pas que le travail entraîne chez elle « l’usure de la santé, l’anémie cérébrale et le détraquement des nerfs » ?

Dépourvue de droits, la femme reste donc confinée au logis, à mettre au monde des enfants et les élever. On passe ainsi du stéréotype biblique de la pécheresse à celui de la reproductrice. Le Dictionnaire des Sciences Médicales confirme que « l’existence de la femme n’est qu’une fraction de celle de l’homme », qu’elle « ne vit pas pour elle-même mais pour la reproduction de l’espèce ». Son destin apparaît scellé à une existence de soumission, invariable depuis des millénaires.

Pourtant, grâce aux progrès de l’hygiène, de la science et du machinisme, les femmes vont commencer à s’émanciper des carcans biologiques et moraux traditionnels. Peu à peu, elles abandonnent leurs corsets, envahissent les usines et les ateliers, enfourchent des bicyclettes. Plus aucune activité manuelle ou physique ne les arrête ! Mais il faut attendre 1909 pour que le port du pantalon ne soit plus un délit, à condition que la femme ait en mains le guidon d’un vélo ou les rênes d’un cheval.

Certaines commencent même à étudier et obtenir le baccalauréat. La première en France est Melle Daubié, lycéenne à Lyon en 1861 et âgée de 37 ans au moment des épreuves ! Mais un bastion résiste : celui des études supérieures. Les femmes n’accéderont que très progressivement à l’université, d’abord comme auditeurs libres et longtemps sous les attaques et les quolibets, au point qu’elles doivent souvent se rendre aux cours accompagnées.

Permettez-moi de rendre hommage à Jeanne Chauvin, première femme diplômée en droit en 1890 dans notre pays. Première avocate aussi, puisqu’elle a l’audace de solliciter son inscription au Barreau. Elle n’y sera admise qu’onze ans plus tard, en 1901, au terme d’un combat judiciaire acharné. Il est vrai qu’on lui oppose des arguments de poids : la tradition, le silence de la loi, la majesté du prétoire et bien-sûr l’indépendance des juges. Ah ! Redoutable tentatrice qu’est la femme, à laquelle nuls juges ou adversaires ne sauraient résister !

Le chemin de l’égalité est encore long ! Mais le courage et l’héroïsme des femmes durant la Grande Guerre, qui contribueront à arracher la victoire, viendront pulvériser tous les clichés. La guerre de 14-18 marque en effet un tournant décisif. Comme le résume l’hommage vibrant rendu par le ministre Paul Deschanel à l’issu du conflit : « La femme française, en donnant les siens, s’est donnée elle-même sous toutes ses formes. Au sillon, à l’usine, à l’hôpital, à l’ambulance, à l’école, aux œuvres de guerre, elle a poussé jusqu’aux extrêmes limites l’esprit d’abnégation et de sacrifice ».

Bien que très lente, l’évolution va donc se poursuivre. Vous en connaissez les grandes étapes mais il ne me semble pas inutile d’en rappeler les principales dates :

  • 1944 : le droit de vote est accordé aux femmes.
  • 1965 : Elles peuvent désormais exercer une profession et ouvrir un compte bancaire à leur nom. La mixité est étendue à toutes les écoles élémentaires.
  • 1967 : la loi Neuwirth libéralise la contraception.
  • 1975 : Simone Veil parvient de haute lutte, à faire voter le droit à l’IVG. La même année, la loi Haby généralise la mixité dans tous les degrés de l’enseignement.
  • 1983 : la loi Roudy pose le principe de l’égalité hommes-femmes dans le champ professionnel.
  • 1991 : Une femme, Edith Cresson, est nommée Premier ministre.
  • 2006 : La loi sur l’égalité salariale vient lutter contre les discriminations au travail.
  • 2012 : La prévention et la sanction du harcèlement sexuel dans le monde professionnel sont renforcées.
  • 2021 : la loi relative à la bioéthique élargit la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires.

Aujourd’hui, en théorie, dans tous les domaines, la femme est donc libre et l’égalité réalisée. Mais qu’en est-il en fait ?

Sur le marché de l’emploi, la situation des femmes reste plus fragile. Elles travaillent plus souvent à temps partiel que les hommes ou dans des emplois peu rétribués. Et, lorsqu’elles parviennent à accéder à des professions supérieures, elles se heurtent à un plafond de verre qui les écarte des fonctions dirigeantes. Subsistent aussi des écarts de salaires importants à niveau égal entre hommes et femmes, de l’ordre de 24% ; ce que 2/3 des hommes âgés de 25 à 34 ans trouvent parfaitement normal selon le récent rapport sur l’état du sexisme en France.

Au plan familial, l’INSEE rapporte que les responsabilités familiales et les tâches domestiques restent globalement celles des femmes, même lorsqu’elles travaillent à l’extérieur. 

Quant à la sphère privée, si la femme est a priori libre de ses choix et de son corps, le machisme a la peau dure, comme l’a démontré le mouvement « ni putes, ni soumises ». Au-delà des quartiers sensibles, laquelle d’entre nous n’a jamais subi des remarques sexistes ou gestes déplacés, même s’ils sont heureusement le fait d’une minorité d’hommes ? Les violences intrafamiliales, dont 85% des victimes sont des femmes, demeurent nombreuses. Elles se sont même accentuées pendant la crise sanitaire. Quant aux violences sexuelles, on estime à environ 580.000 le nombre de viols et agressions sexuelles commis chaque année en France contre des femmes. Si le mouvement #MeToo a eu le mérite de libérer la parole des victimes, tout en faisant prendre conscience que la justice doit s’exercer dans les tribunaux, il a provoqué une contre-offensive misogyne inquiétante : paroles déconsidérées, violence tous azimuts sur les réseaux sociaux, diffamation. Si l’on ajoute à cette liste le cyber-harcèlement et l’accès banalisé à un déluge de pornographie, on comprend qu’en 2023, Amandine Clavaud, directrice des études de l’Observatoire Egalité Hommes-Femmes, ait jugé urgent d’alarmer les pouvoirs publics sur ces « signes très préoccupants de régression ». Pour nombre d’hommes, il reste en effet impensable de partager l’espace public, les postes, la culture, l’argent ou le pouvoir avec des femmes. J’en veux pour preuve les livres récents de Frédéric Beigbeder ou Emmanuel Todd. Cette conception a ses emblèmes : la nomination de deux ministres poursuivis pour agressions sexuelles en 2020 ou le cas Polanski. Alors que le cinéaste accusé de viols multiples avait renoncé sous la pression féministe à présider la cérémonie des Césars en 2017, il a reçu en 2020 le prix du meilleur réalisateur pour le film « J’accuse » consacré à l’affaire Dreyfus. Comment ne pas y voir le symbole désastreux d’une réhabilitation qui ne dit pas son nom ? Tout récemment, c’est l’acteur Depardieu qui, en dépit de ses frasques notoires, a été assuré du soutien du chef de l’Etat et d’une cinquantaine de célébrités. Le dernier rapport du Haut Conseil à l’Egalité publié le 22 janvier 2024 confirme la recrudescence alarmante du sexisme, notamment chez les jeunes et l’explosion du modèle de la « tradwife » sur les réseaux sociaux.  

Le phénomène n’est hélas pas propre à la France. L’ancien Président de la première puissance mondiale se vantait publiquement en 2005 de pouvoir « attraper les femmes par la chatte » grâce à sa seule notoriété. Un machisme décomplexé préfigurant le conservatisme à l’origine de la révocation de l’arrêt Roe vs. Wade en juin 2022, qui garantissait aux Etats-Unis le droit constitutionnel à l’avortement. Partout dans le monde, les droits des femmes reculent, de l’Italie de Georgia Meloni à la Hongrie, où un décret oblige les femmes à écouter battre le cœur du fœtus avant de recourir à une IVG. En Pologne, il est imposé aux médecins de déclarer toute femme enceinte sur un registre qui pourrait devenir un gigantesque instrument de surveillance, alors que l’avortement y est quasiment interdit. Même la Suède a renoncé à poursuivre sa diplomatie féministe, dont elle était pourtant pionnière ; Et ce, sans parler des filles effacées de la vie publique en Afghanistan ou de la répression massive des femmes en Iran. Au plan international, les trois dernières années se caractérisent donc par un spectaculaire recul des droits des femmes, au point que le Secrétaire Général de l’ONU Antonio Guterrez, a déclaré en mars 2023 que « Les progrès réalisés s’évanouissent sous nos yeux ». Au rythme actuel, il faudra attendre 300 ans avant d’atteindre l’égalité des genres selon l’organisation.

Alors ? L’égalité restera-t-elle un mythe ? Peut-on réellement espérer développer l’Humanité en ignorant ou dévalorisant plus de la moitié des êtres qui la composent ? Suffit-il de consacrer l’égalité dans la loi ou de constitutionnaliser le droit à l’avortement pour faire évoluer les mentalités ? Comment mettre un terme définitif aux différences sociales injustifiées, nourries par des différences biologiques et des siècles de préjugés ?

Nous savons tous que l’égalité est une nécessité et la diversité une richesse. La différence des sexes existe mais elle n’a pas lieu d’être oblitérée ou exacerbée. Le combat pour les droits des femmes n’est synonyme ni de rejet des hommes, ni la promotion de je-ne-sais quelle société puritaine ou asexuée. C’est simplement le combat pour l’indépendance, la liberté et le respect. En 1974, Simone de Beauvoir avait prévenu : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devez rester vigilantes. ». Effectivement, cinquante ans plus tard, à l’instar de Marie-Cécile Naves, directrice de l’Observatoire Genre et Géopolitique, force est de constater que « partout où la démocratie recule, partout où les droits humains reculent, ceux des femmes régressent en premier ».

Juger n’est pas jouer…

Pour commencer l’année dans la bonne humeur, que diriez-vous de quelques décisions insolites ? Ceux qui ont une vision rigide et austère du droit verront que la justice recèle parfois de belles pépites : autant d’affaires inattendues que de motivations inédites ! Que dis-je ? Un véritable émerveillement jurisprudentiel ! Jugez plutôt…

BULLDOZ’HAIR…

Doit être fermé le salon de coiffure dont les coiffeurs n’ont aucun diplôme en la matière et sont en fait des ouvriers du bâtiment.

Tribunal correctionnel de Pau, 14 juin 2021.

GARE A LA FAUSSE ROUTE…

Constitue un accident du travail le fait d’avaler de travers en déjeunant à son bureau lorsqu’une collègue vient demander un renseignement.

Cour de cassation, chambre sociale, 15 juin 1983, n°81-15.395.

Est condamné à 8 mois de prison avec sursis le marabout jugé pour excès de vitesse, quand bien même il serait « possédé par l’esprit de Michael Schumacher qui l’oblige à conduire comme un fou ».

Tribunal correctionnel de Perpignan, 23 mai 2019.

Est condamné à un an de prison avec sursis le chauffard qui, pour se venger du retrait de son permis de conduire, se fait flasher après avoir remplacé sa plaque d’immatriculation par celle du gendarme qui l’avait contrôlé.

Tribunal judiciaire de Troyes, 3 mars 2022.

COPAIN COMME COCHON…

Est condamné à 3 mois de prison celui qui adopte un cochon de compagnie auprès d’une association pour finalement en faire du pâté.

Tribunal correctionnel de Vannes, 4 avril 2020.

ILLUMINATIONS ?

Décorer la façade de son magasin de pompes funèbres avec « des guirlandes et des sapins de Noël en inscrivant Bonnes Fêtes n’est pas très commerçant ».

Tribunal de Commerce de Versailles, 3 octobre 2014, n° 2013F00975.

« Le gyrophare d’une voiture de police banalisée ne saurait être confondu avec un sapin de Noël lumineux tel qu’en ont les routiers, justifiant le refus d’obtempérer d’un automobiliste. »

Cour de cassation, chambre criminelle, 2 juillet 1992, 91-87.086.

UNE DERNIERE DOSE ?

Est condamné à 70 heures de travaux d’intérêt général, celui qui prend de la cocaïne en plein tribunal car « son rendez-vous avec le juge le stresse ».

Tribunal correctionnel de Nanterre, 14 décembre 2020.

Commet un harcèlement moral l’employeur qui offre à une salariée, absente plusieurs fois, « Le malade imaginaire » de Molière ainsi qu’un réveil en guise de cadeau de Noël.

Cour d’appel de Montpellier, 28 mai 2008, n° 08/00005.

Constitue un harcèlement moral le fait pour un supérieur hiérarchique d’installer une sonnerie disant « Y’a une grosse conne qui t’appelle  »,  chaque fois que sa salariée lui téléphone.

Cour d’appel de Douai, 27 juin 2014, n° 13/01953.

Commet un harcèlement moral l’employeur handicapé qui dit à son auxiliaire de vie : « J’ai du mal avec les prénoms, je peux t’appeler connasse ? ».

Cour d’appel de Montpellier, 22 novembre 2023, n° 21/01287.

N’est pas un harcèlement sexuel le fait d’offrir un paquet de pâtes en forme de sexe masculin à sa collègue.

Cour d’appel de Paris, 29 mars 2018, n°16/02751.

BONNE ANNEE 2024 !

Justice et laïcité : l’affaire Calas.

Aujourd’hui comme hier, l’intolérance tue. Rien ne l’illustre mieux que cette retentissante affaire survenue à Toulouse, le 13 octobre 1761.

Il est environ 23 heures lorsque le Capitoul David de Beaudrigue apprend qu’un drame s’est produit rue des Filatiers, dans la maison d’un mercier. Il se dépêche sur place et découvre gisant au sol, le corps sans vie de Marc-Antoine Calas portant au cou des marques de strangulation, sous les yeux hébétés de ses proches. Le jeune-homme de 29 ans s’est-il suicidé ou a-t-il été tué ? A ce stade, nul ne le sait. Mais la rumeur s’est déjà propagée et la clameur publique tient le nom du coupable. C’est son père, Jean Calas, qui l’a assassiné ! David de Beaudrigue embarque donc tous les présents. Il est vrai que le tort de cette famille ordinaire est d’être protestante, dans une ville qui avait désapprouvé l’Edit de Nantes et où depuis sa révocation, les Huguenots sont mal tolérés. Cette forte hostilité ne facilite pas l’instruction de l’affaire, d’autant que les suspects ne cessent de se contredire. Jean Calas, son épouse et leur fils Jean-Pierre, ont beau être soumis à la question ordinaire et extraordinaire, c’est-à-dire à la torture la plus poussée, aucun aveu ne peut leur être extorqué. On s’en remet donc au mode de preuve habituellement pratiqué par la justice de l’Ancien-Régime : l’appel public aux témoignages, dont tout juriste sait à quel point ils sont peu fiables, surtout dans un contexte aussi venimeux. Pas moins de 87 témoins qui n’ont évidemment rien vu sont ainsi entendus et sans surprise, c’est l’infanticide qui est retenu. La messe est dite. Jean Calas est jugé coupable du meurtre de son fils et condamné. Quant au mobile, il est évident. Il voulait empêcher son fils de se convertir au catholicisme. L’accusé clame son innocence jusqu’à son dernier souffle. Mais lorsque Place Saint-Georges, il finit par expirer sous les coups de barre de fer et après deux heures d’agonie sur la roue, l’affaire Calas n’est pas terminée. Elle ne fait que commencer.

Voltaire, d’abord convaincu de la culpabilité de l’accusé, voit sa curiosité affûtée en découvrant les détails du procès. Entouré des meilleurs avocats, il entreprend un long travail d’enquête minutieux en vérifiant un à un chaque élément du dossier. Désormais persuadé de l’erreur judiciaire, il se lance un défi prodigieux vu les faibles moyens de communication de l’époque : rétablir l’innocence de Jean Calas, en remuant ciel et terre et en dénonçant l’injustice, partout où il peut. Son entreprise est un succès puisqu’elle permet la révision du procès entaché de vices de procédure, en même temps que la publication de son célèbre « Traité sur la Tolérance ». Le 9 mars 1765, Jean Calas et sa famille sont définitivement réhabilités ; décision légitime compte tenu des irrégularités qui affectaient le procès.

Pour autant, les circonstances précises de la mort de Marc-Antoine ne sont toujours pas élucidées. Si pour nombre d’historiens, qui ne sont pas des spécialistes du crime, il n’y a pas lieu de s’interroger ; Ce n’est pas l’avis de certains pénalistes qui pensent que la justice a laissé des hypothèses de côté.

Marc-Antoine s’est-il suicidé ? C’est possible. On lui prêtait une âme sombre et mélancolique. Sa vocation d’avocat était aussi contrariée par sa religion protestante et l’impossibilité de produire le certificat de catholicité requis pour accomplir sa destinée. Il n’est pas non plus exclu que la famille ait voulu cacher sa fin tragique, pour éviter que la dépouille du jeune homme soit exposée à une infamante exhibition à travers la ville sur une claie ; sort habituellement réservé aux suicidés.

Jean Calas a-t-il tué son fils ? Pour feu Roger Merle, grande figure du Barreau toulousain et professeur de droit criminel à l’université, on ne peut l’écarter. Jean Calas était en conflit avec son fils, qui dérobait dans la boutique pour financer son addiction au jeu et il l’avait déjà violenté. Les cris entendus le soir même peuvent accréditer la thèse d’une nouvelle dispute qui aurait mal tourné. Les personnes présentes dans la maison avaient un intérêt évident à nier l’homicide, afin de ne pas être déclarées complices et échapper à la peine capitale.

Marc-Antoine a-t-il été tué par un tiers extérieur à la famille ? Cette hypothèse plausible aurait dû être explorée. Certes, la porte d’entrée était fermée le soir du meurtre. Elle n’a pas été fracturée et un loquet empêchait de l’ouvrir de l’extérieur. Mais on ne peut pas exclure que le criminel, proche de la victime, ait possédé une clé, soit entré plus tôt dans la journée et se soit caché, ou que Marc-Antoine lui-même l’ait introduit, avant d’être trucidé pour un motif inconnu et probablement étranger à toute considération religieuse.

Dès lors, l’unique certitude est que faute de preuve, Jean Calas ne pouvait pas être condamné. Son exécution due au seul fanatisme, s’est érigée en symbole national d’une éclatante erreur judiciaire.

En ces temps troublés, j’ai souhaité rendre hommage à cette victime emblématique de l’intolérance qui, comme tant d’autres, a sans doute contribué à l’évolution de notre droit et à la consécration moins de deux siècles plus tard, de la laïcité. A l’heure où l’intolérance fleurit de tous côtés et où la laïcité est menacée, n’est-il pas opportun de se remémorer ce sordide procès ? A l’évidence, c’était une autre époque et les règles juridiques ont changé, même si l’erreur judiciaire reste un risque inhérent à tout procès. De tous temps, certaines affaires, par manque de preuve ou instruction mal orientée, sont restées inexpliquées. L’actualité confirme hélas qu’il arrive encore que des innocents soient condamnés. Mais heureusement, l’intolérance ne fonde plus la preuve. L’écho tonitruant des injustices du passé a résonné.

Les préjugés et les certitudes ont toujours empêché la réflexion, la mesure, l’émancipation et le progrès. La laïcité est un rempart contre l’intolérance. A l’école, elle confère à tous et à égalité, la liberté de croire ou de ne pas croire, mais aussi à chacun la possibilité de s’extraire un instant de son carcan social, religieux ou idéologique, pour construire sa propre identité. Dans les tribunaux, elle est la condition de la neutralité indispensable à une justice impartiale et éclairée.

Quant à l’affaire Calas, chacun demeure libre de croire à la thèse du suicide, de ne pas y croire ou de douter…

L’employeur peut-il modifier les primes ou commissions ?

Le salarié peut percevoir une part de rémunération variable prenant la forme de primes ou commissions. Les conditions de leur suppression ou modification par l’employeur dépend alors de leur nature juridique.

Deux catégories de primes sont à distinguer :

  • La prime discrétionnaire, soumise à la libre appréciation de l’employeur tant dans son principe que dans son montant, par nature exceptionnelle et le plus souvent non mentionnée au contrat de travail. L’employeur peut donc la supprimer ou modifier.
  • La prime contractuelle sur objectifs, qui présente un caractère obligatoire et doit être payée dès lors que ses conditions d’octroi sont remplies.

Lorsque le principe d’une rémunération variable est prévu au contrat de travail, elle s’impose donc à l’employeur.

La clause stipulant une rémunération variable doit respecter les trois conditions suivantes :

  1. Elle doit être fondée sur des éléments objectifs, indépendants de la seule volonté de l’employeur.

C’est le principe de la prohibition des clauses potestatives (Cass. soc., 9 mai 2019, 17-27.448 ; Cass, soc, 3 juillet 2001, n°99-42761).

2. Les objectifs fixés par l’employeur doivent être réalisables et portés à la connaissance du salarié en début d’exercice.

L’absence de fixation des objectifs par l’employeur ou leur fixation tardive constituent un manquement justifiant à lui seul la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié (Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-65.710, RJS 10/11 n°799). Le contrat doit donc fixer une période de référence pour la fixation des objectifs, leur réalisation et le paiement de la prime.

Les objectifs doivent être réalisables et avoir été portés à la connaissance du salarié en début d’exercice pour lui être opposables (Cass. Soc. 2 mars 2011, n° 08-44.978 ; Cass. Soc. 6 oct. 2016 n° 15-15672 ; Cass. soc., 9 mai 2019, n°17-20767, F-D ; Cass. soc. 8 avril 2021 n° 19-15432).

Faute pour l’employeur d’avoir informé le salarié des objectifs à réaliser ainsi que des conditions de calcul de la prime correspondante, la rémunération variable doit être payée intégralement (Cass. Soc. 10 juill. 2013 n° 12-17921).

La Cour de cassation l’a encore rappelé par un arrêt récent du 7 juin 2023 (Cass. soc. 7 juin 2023, n°21-23.232).

La rémunération variable doit être versée même si l’employeur met fin au contrat de travail, y compris en cours de période d’essai, dès lors qu’il n’existe aucun élément concret de calcul, d’objectifs actuels ou passés et de période de référence pour le versement de la prime (Cass. soc. 10 juill. 2013, n° 12-17.921).

Enfin, la clause relative à la rémunération variable doit être rédigée en français. La jurisprudence considère en effet que des objectifs fixés dans une langue étrangère, même comprise du salarié, lui sont inopposables (Cass. soc. 29 juin 2011 n° 09-67.492) ; à moins qu’une traduction en français ait été rapidement fournie (Cass. soc. 21 sept. 2017, n° 16-20.426.)

3. La clause relative à la rémunération variable ne peut avoir pour conséquence d’infliger une sanction pécuniaire au salarié (Cass. soc. 4 juill. 2007, n° 06-40).

Toute modification de la rémunération variable du salarié doit être expressément acceptée par ce dernier.

Peu importe que l’employeur prétende que le nouveau mode de rémunération serait sans effet sur le montant global de la rémunération du salarié (Cass. soc, 18 mai 2011 n° 09-69175).

La rémunération constitue en effet un élément essentiel du contrat de travail qui ne peut être modifié ni dans son montant ni dans sa structure, sans l’accord du salarié. C’est notamment le cas de la réduction de la zone géographique d’un commercial de nature à diminuer son chiffre d’affaires et par voie de conséquence ses commissions (Cass. soc. 10 avril 2013, n° 12-10.193).

Cette règle est conforme aux dispositions de l’article L 1222-1 du Code du travail qui disposent que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

Enfin, même acceptée, la modification ne doit conduire ni à faire supporter le risque de l’entreprise sur le salarié (Cass. soc. 2 juill. 2002, n° 00-13.111), ni à porter la rémunération en-dessous des minima légaux et conventionnels.

Dénigrement ou diffamation ? Une distinction fondamentale parfois subtile…

Bien que sanctionné au titre de la concurrence déloyale, le dénigrement est un procédé aussi vieux que le commerce. Facilité par Internet et la numérisation, il est important d’en connaître les contours, afin de ne pas le confondre avec la notion voisine de diffamation.

La distinction est fondamentale car les deux qualifications obéissent à des régimes juridiques distincts. Alors que la réparation du dénigrement doit être poursuivie sur le fondement de la responsabilité délictuelle prévue par l’article 1240 du Code civil, la diffamation est un abus de la liberté d’expression réprimé par la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse et comporte une sanction pénale. En outre, si le dénigrement relève en principe du Tribunal de Commerce (à moins que l’auteur ne soit pas commerçant), l’action en diffamation est de la compétence exclusive du Tribunal Judiciaire. Elle est soumise à une prescription très courte de trois mois à compter de la publication des propos litigieux, contre cinq ans en matière de dénigrement. Autant dire qu’il faut aller vite en matière de diffamation et être particulièrement vigilant car l’acte introductif d’instance doit comporter un certain formalisme à peine de nullité.

Alors ? Comment distinguer ces deux notions ? A priori, la définition de chacune est assez claire. Selon la Loi sur la presse du 29 juillet 1881, la diffamation est « l’allégation ou l’imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ».  Quant au dénigrement, la jurisprudence le définit comme le fait de jeter publiquement le discrédit sur les produits, les services, l’entreprise ou la personnalité d’un concurrent. Il s’ensuit que le dénigrement implique que le discrédit soit dirigé contre un produit, un service ou une entreprise, alors qu’en matière de diffamation, c’est l’honneur ou à la considération d’une personne physique qui sont visées.

La distinction peut néanmoins s’avérer délicate lorsque les allégations visent une personne physique, par exemple le dirigeant d’une entreprise mais ont en réalité pour seul objet de dénigrer les prestations fournies par celle-ci. Dès lors que l’action en dénigrement est fondée sur la responsabilité délictuelle qui nécessite la réunion de trois conditions : une faute, un préjudice et un lien de causalité, il convient alors d’apprécier le véritable « mobile » de la faute et le contexte dans lequel elle a été commise. Le dénigrement est caractérisé par une intention de nuire commercialement. Si les propos litigieux ne visent pas seulement à discréditer la personne elle-même mais à travers elle, la qualité des prestations fournies, la qualification de dénigrement doit être retenue. C’est ce qu’a estimé la Cour de cassation s’agissant par exemple « d’allégations portées à l’encontre du gérant d’une société qui n’avaient pour objet que de mettre en cause la qualité des prestations fournies par celle-ci dans la mesure où elles émanaient d’une société concurrente de la même spécialité exerçant dans le même secteur d’activité, qui étaient proférées dans le but manifeste d’en détourner la clientèle » (Cass., 1ère civ. 5 déc. 2006, n°05-17.710).

Mais cette appréciation ne signifie nullement que l’auteur du dénigrement soit nécessairement un concurrent, même si c’est le cas le plus courant. Selon la jurisprudence, le dénigrement peut être caractérisé contre toute personne, quelle que soit son activité et sa présence sur un marché. Il a ainsi été jugé que  « même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre, peut constituer un acte de dénigrement » (Cass. com., 20 novembre 2007, n°05-15.643 ; Cass. 1ère civ., 11 juill. 2018, n°17-21.45 ; Cass. com., 4 mars 2020, n°18-15.651). Cette position s’explique par le fait que l’action en concurrence déloyale, fondée sur la responsabilité civile, sanctionne une faute dommageable ; et ce, quelle que soit la qualité de son auteur. Les critiques négatives ou malveillantes sont toutefois appréciées avec moins de sévérité lorsqu’elles émanent de consommateurs.

Il suffit donc que les allégations litigieuses aient trait à des agissements intéressant l’exercice de l’activité commerciale et qu’elles aient pour objet ou pour effet de jeter le discrédit sur les produits ou prestations de l’entreprise pour que le dénigrement soit constitué. Ont ainsi été qualifiés de dénigrement les accusations de vol à l’encontre d’un dirigeant de société ou le fait de relater des difficultés de paiement d’une entreprise (Cass. com., 30 sept. 2020, no 18-25.204).

Contrairement à la diffamation, il n’existe pas d’exception de vérité en matière de dénigrement. Le fait de démontrer l’exactitude des faits révélés ne suffit pas à exonérer l’auteur de sa responsabilité. (Cass. com., 23 mars 1999 ; (Cass., Com., 12 mai 2004 ; Cass. com., 28 septembre 2010).

Dès lors, puisque ni la qualité de l’auteur ni l’inexactitude des faits ne suffisent à qualifier le dénigrement, celui-ci sera constitué chaque fois que seront réunies les trois conditions suivantes :

  1. Des propos péjoratifs.

Il doit en effet s’agir d’allégations outrepassant le droit à la critique relevant de la liberté d’expression. L’intention de nuire doit se caractériser par la volonté de porter atteinte à l’image de marque d’une entreprise, de ses produits ou services. Ainsi,  dans un arrêt de principe, la Cour de Cassation a considéré qu’il n’y avait pas de dénigrement lorsque « l’information en cause se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure » (Cass. Com., 4 mars 2020 n°18-15.651).

  1. Les propos doivent être rendus publics.

Quel que soit le mode de communication (écrit, image, sonore), une publicité extérieure est nécessaire ; ce qui n’est pas le cas par exemple de la diffusion d’une note interne.

  1. Les propos doivent viser une entreprise identifiable, sa marque, ses produits ou services.

Il conviendra donc de prouver que ce discrédit est la cause d’un dommage. L’indemnisation consistera à la réparation du préjudice moral (l’atteinte à l’image de marque ou la réputation de l’entreprise), ainsi qu’à celle d’un éventuel préjudice matériel résultant de la perte de clientèle et par conséquent, de marge commerciale.