Attention au licenciement causé par les propos tenus par le salarié !

Face à des remarques trop critiques du salarié ou une obstruction systématique, l’employeur peut être tenté de le licencier. Il devra alors être extrêmement prudent car si certains motifs constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement, d’autres entraînent sa nullité ; ce qui peut alourdir sensiblement les indemnités qu’il serait condamné à lui payer.

L’employeur devra en particulier bien motiver la lettre de licenciement puisque c’est elle qui fixe le cadre du litige, et vérifier la qualification donnée aux faits. En effet, les risques ne sont pas les mêmes selon qu’il s’agit d’une insubordination caractérisée, d’une perte de confiance ou de propos certes désagréables ou pénibles mais parfaitement autorisés.

L’insubordination suppose des faits concrets manifestant le refus du salarié d’exécuter les missions qui lui sont confiées. Elle justifie le licenciement et peut même dans certains cas constituer une faute grave.

Tel n’est pas le cas de la perte de confiance, dont l’appréciation est nécessairement subjective si bien que de jurisprudence constante, elle « ne peut jamais constituer en tant que telle une cause de licenciement, même quand elle repose sur des éléments objectifs. Seuls des éléments objectifs peuvent, le cas échéant, constituer une cause de licenciement, mais non la perte de confiance qui a pu en résulter pour l’employeur » (Cass. Soc 29 mai 2001, n° 98-46341).

Quant aux propos critiques du salarié, manifestant son désaccord ou son opposition, ils ne sauraient fonder un licenciement et peuvent entraîner sa nullité, pour violation d’une liberté fondamentale : la liberté d’expression du salarié dans l’entreprise.

L’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales dispose en effet que toute personne a droit à la liberté d’expression.

Cette liberté a une valeur constitutionnelle puisqu’elle figure à l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et à l’article 5 du préambule de la Constitution de 1946. Elle consacre le droit fondamental de chacun de communiquer librement ses pensées et opinions, sans pouvoir être lésé dans son travail ou son emploi.

Selon l’article L 1121-1 du Code du travail : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature des tâches à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

La jurisprudence réaffirme constamment que la violation de la liberté d’expression, droit fondamental du salarié dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, entraîne sauf abus, la nullité du licenciement.

Le salarié est d’autant mieux fondé à s’exprimer librement qu’il exerce des fonctions d’encadrement impliquant la responsabilité d’assurer la bonne marche du service, la cohésion, la stabilité des équipes et la satisfaction des clients.

L’expression d’opinions, de réserves, de craintes, de divergences de vue, de critiques ou de propositions fait naturellement partie de la liberté d’expression et ne peut donc être sanctionnée sauf abus.

Selon la Cour de cassation, l’abus ou le caractère disproportionné sont caractérisés par l’emploi de propos injurieux, diffamants ou excessifs.

Cette appréciation est stricte. C’est pourquoi il a été jugé que les propos suivants, tenus par le salarié, ne caractérisaient pas un abus mais un simple usage de sa liberté d’expression :

  • « Un PDG en mode panique » ; « Une équipe de direction qui ne comprend plus son PDG » ; « Un PDG visiblement reparti sur une paranoïa aigüe (Cass. soc., 15 mai 2019, n° 17-20.615).
  • « 4 ans de non-gestion où le groupe a renié des valeurs aussi essentielles que sécurité et éthique » ; « Le management mis en place avant mon arrivée est incompétent, gravement incompétent » ; « Personne n’est à la hauteur » (Cass. soc., 29 juin 2022, n° 20-16.060). 
  • La dénonciation de faits de harcèlement moral par le salarié, bien que les faits n’aient pas été qualifiés » (Cass. Soc., 19 avr. 2023, n°21-21.053).
  • L’hostilité manifestée par le salarié à l’égard de la personne chargée de mettre en œuvre la réorganisation de l’agence dont il était responsable et sa désapprobation de la réorganisation (Cass. Soc., 14 févr. 2024, n°22-17.332).

Au visa de l’article L 1235-3-1 du Code du Travail, le salariévictime d’un licenciement nul qui ne demande pas sa réintégration a droit, quelle que soit son ancienneté dans l’entreprise, d’une part, aux indemnités de rupture et d’autre part, à une indemnité au moins égale aux six derniers mois de salaire. 

Mais attention, seuls les propos émis personnellement par le salarié sont protégés par la liberté d’expression et non ceux tenus par son avocat, même s’ils reflétaient ses doléances. C’est ce que vient de préciser la Cour de Cassation dans un arrêt du 10 septembre 2025 concernant un courrier adressé par l’avocat du salarié à l’employeur (Cass. Soc., n°24-12595 FSB).

Caroline Pons-Dinneweth

L’impact de la réforme des nullités en cas d’exclusion d’un associé.

La réforme des nullités en droit des sociétés qui entrera en vigueur le 1ᵉʳ octobre 2025 tend à limiter l’annulation des décisions sociales et à préserver la stabilité de la société. En effet, aux termes du nouvel article 1844-12-1 du Code Civil, une décision ne pourra être annulée que si trois conditions cumulatives sont remplies :

  • L’irrégularité a privé un associé d’un droit essentiel.
  • Cette irrégularité a influencé ou pu influencer le résultat de la délibération.
  • L’annulation n’a pas de conséquences excessives pour l’intérêt social.

Ce triple contrôle devrait renforcer la sécurité juridique après l’exclusion d’un associé dont l’éviction a ensuite été annulée. En effet, dans la plupart des sociétés, il est possible de prévoir dans les statuts l’exclusion d’un associé. Cette clause est parfaitement légale à condition qu’elle soit suffisamment précise et ne conduise pas à une éviction arbitraire. Néanmoins, le problème réside dans le fait que si l’exclusion vient ensuite à être annulée par le juge, l’associé retrouve rétroactivement sa qualité comme si l’éviction n’était jamais intervenue, si bien qu’il peut contester toutes les décisions sociales prises depuis son exclusion, faute d’avoir été convoqué aux assemblées (cause classique de nullité). Cet effet rétroactif créé donc un risque de nullités en cascade et une forte insécurité juridique.

En limitant les effets de cette rétroactivité, la réforme d’octobre 2025 représente par conséquent une avancée majeure. L’introduction du triple test de proportionnalité est de nature à éviter des conséquences particulièrement lourdes dans certains cas (par exemple, l’annulation du recours à un financement, d’une augmentation de capital ou d’un changement nécessaire de dirigeant).

Ce nouveau régime tend ainsi à préserver la stabilité de la société et des affaires. A l’instar des règles en vigueur chez la plupart de nos voisins européens (notamment britanniques, allemands et italiens), il traduit la volonté du législateur de trouver un équilibre entre le respect des droits individuels et la sécurité de la vie sociale.

Néanmoins, si la réforme de 2025 renforce la stabilité, le risque d’annulation n’est pas pour autant écarté, si bien que la prudence reste de mise pour anticiper les contentieux.

Cette vigilance commande de :

  • Sécuriser les clauses statutaires d’exclusion et veiller à la régularité des procédures.
  • Assurer une bonne communication interne et conserver la preuve écrite des échanges.
  • Préciser les délais et conditions de rachat des titres pour limiter les litiges sur le prix.
  • Prévoir une stipulation qui limite les effets rétroactifs d’une annulation, en se fondant sur les critères issus de la réforme de 2025.

Une meilleure confidentialité des dirigeants ?

L’insécurité liée à la captation des données personnelles s’est accentuée avec le développement du numérique et de l’intelligence artificielle. Les dirigeants d’entreprises et certains associés se trouvent ainsi exposés à des risques accrus d’usurpation d’identité et d’abus en tous genres (harcèlement, menaces), du fait de la publication de leur adresse personnelle dans les registres publics (RCS, RNE…).

Le décret du 22 août 2025, entré en vigueur le 25 août 2025, vise à assurer une meilleure protection de ces données personnelles, jusqu’ici accessibles à quiconque d’un simple clic. Il vise deux catégories de personnes :

  • Les dirigeants de personnes morales (gérants, présidents, directeurs généraux…)
  • Lesassociés indéfiniment responsables des sociétés en nom collectif et en commandite simple.

Il leur est désormais possible de demander à tout moment la confidentialité de leur domicile personnel, via le guichet unique géré par l’INPI ou le greffe du Tribunal de Commerce.

A réception de la demande, matérialisée par la délivrance d’un récépissé, le greffier doit traiter la demande dans les 5 joursouvrables. A défaut, le demandeur peut saisir le juge commis à la surveillance du registre.

Lorsque la demande porte sur un acte visé à l’article R. 123-102 du Code de Commerce (copies certifiées conformes par le représentant légal de la société), elle doit être accompagnée d’une copie de l’acte occultant la mention de l’adresse personnelle du demandeur. Cette copie doit être publiée par le greffier en remplacement du document original, qui est conservé à titre de pièce justificative.

L’adresse originale reste ainsi accessible uniquement à un nombre restreint de personnes (institutions, administrations, créanciers, commissaires de justice, notaires, mandataires judiciaires).

Ce décret s’inscrit dans la continuité des règles européennes sur la protection des données. Il représente une évolution incontestable mais son efficacité demeure limitée pour les raisons suivantes :

  • La confidentialité ne s’applique qu’aux dirigeants actuels, à l’exclusion des anciens dirigeants dont les données restent exposées.
  • Seule l’adresse personnelle est concernée ; ce qui limite la portée pour les dirigeants dont le domicile fait aussi office de siège social.
  • Seul le Registre du Commerce et des Sociétés est principalement concerné et non d’autres registres sensibles, tels que le registre des bénéficiaires effectifs par exemple ; ce qui permet donc l’accès aux données personnelles.

La médiation : la solution en cas de harcèlement moral ?

Le travail donne parfois lieu à des relations conflictuelles, perçues à tort ou à raison comme du harcèlement moral.

Le Code du travail donne précisément la définition du harcèlement moral. Il est constitué par trois conditions cumulatives :

  • des agissements répétés,
  • dégradant les conditions de travail (matérielles, humaines ou relationnelles),
  • et affectant la santé de la victime et son avenir professionnel.

Il se distingue donc du simple conflit et implique de la part de l’auteur une intention de nuire. La preuve du harcèlement moral est généralement difficile à rapporter, notamment le caractère répété des agissements en l’absence de témoins ou si les autres membres du personnel répugnent à attester. La preuve du lien de causalité entre les comportements reprochés et les répercussions néfastes sur les conditions de travail et la santé du salarié pose aussi une difficulté. En effet, le médecin traitant comme le médecin du travail ne peuvent que relater les griefs du salarié sans possibilité d’établir avec certitude le lien avec des faits intervenus pendant le travail, dont ils n’ont pas eux-mêmes été témoins.

La solution du procès apparaît donc assez aléatoire et peu adaptée vu la lenteur judiciaire. Il est en effet à craindre que le climat délétère perdure tant que l’affaire n’a pas été jugée et l’auteur des faits sanctionné.

Deux autres alternatives s’offrent alors à la victime. La première est de signaler le plus vite les faits à sa hiérarchie. L’employeur étant responsable de la santé physique et psychique de ses salariés, il a l’obligation de prendre toutes les dispositions nécessaires pour prévenir le harcèlement moral ou sexuel. Il lui incombe en particulier de procéder à une enquête et à des investigations pour établir les faits et prendre les mesures appropriées. Le Code du travail ne précise pas la manière dont ces investigations doivent être menées. L’article L 1154-1 impose seulement au salarié de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et à l’autre partie, au vu de ces éléments, de prouver que les agissements visés ne sont pas constitutifs de harcèlement et justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute volonté de nuire.

La seconde solution est de faire une demande de médiation, au visa de l’article L1152-6 du Code du Travail. La jurisprudence considère en effet que l’employeur a le devoir de la mettre en œuvre si un salarié en fait la demande. L’employeur peut lui-même avoir intérêt à la proposer car elle permet une appréhension rapide, peu onéreuse, confidentielle et constructive du conflit.

Fondée sur leur volonté et leur coopération, la médiation a pour but d’amener les parties à trouver elles-mêmes la solution à leur litige avec l’aide d’un professionnel neutre et indépendant, spécialement formé à la médiation. C’est un procédé gagnant/gagnant puisque son taux de réussite est considérable (en moyenne supérieur à 70 %). Parmi ses nombreux avantages, la médiation est une solution contradictoire, respectueuse du ressenti et de la parole de chaque partie qui, avec l’aide du médiateur parviendra à dépassionner le conflit, pour déterminer de manière plus objective et pragmatique les solutions qui le régleront de manière définitive. Elle permet donc aux parties de se réapproprier la gestion de leur différend en trouvant elles-mêmes les solutions d’un accord durable. Elle aboutit parfois à des solutions ou alternatives originales qu’un juge ne pourrait pas ordonner. Elle présente un intérêt évident dans toutes les situations où les parties ont vocation à poursuivre leurs relations. La médiation est donc un mode de règlement amiable particulièrement adapté aux conflits du travail, à ne pas négliger.