La condamnation inédite de Nicolas Sarkozy le 25 septembre 2025 à 5 ans de prison ferme avec exécution provisoire dans l’affaire des financements libyens a provoqué un véritable coup de tonnerre. C’est en effet la première fois dans l’histoire de notre République qu’un ancien Président dormira en prison. De quoi enflammer aussitôt les médias avec le vieux mantra sur le « gouvernement des juges » et la dénonciation d’un procès politique. Tandis que la Présidente du tribunal a été menacée de mort sur les réseaux sociaux, c’est l’occasion de tordre le cou à certaines idées reçues en remettant en quelque sorte l’église – ou plutôt le tribunal – au centre du village.
- Peut-on parler en France de « gouvernement des juges » ? L’expression est un non-sens absolu puisque ce ne sont pas les juges qui font la loi. C’est le législateur, autrement dit, les élus. Les juges ne font que l’appliquer avec les faibles moyens qui leur sont donnés et sont censés le faire avec égalité et impartialité. Par crainte d’être taxés de laxisme, les politiques ont été amenés à durcir certaines règles (inéligibilité, exécution provisoire…). Personne ne peut y échapper.
- La justice est-elle politique ? Qu’ils soient de droite ou de gauche, la victimisation est un grand classique des procès impliquant des politiques. Pourtant, statistiquement, les juges sont plutôt moins sévères à leur égard, malgré leur devoir d’exemplarité. Les sanctions prononcées contre les élus sont pour la plupart inférieures aux peines maximales prévues, sans compter le traitement accéléré des dossiers (par exemple l’audiencement en appel de Marine Le Pen), alors que le commun des mortels doit souvent attendre plusieurs années avant d’être jugé. Concernant l’affaire Sarkozy, le fait qu’il ait été relaxé de 3 chefs de mise en cause sur 4 et condamné à la moitié de la peine maximale de prison encourue, au terme d’un procès équitable et d’un jugement abondamment motivé, laisse supposer qu’il n’a pas fait l’objet d’un acharnement particulier. Par ailleurs, selon les chiffres officiels, l’exécution provisoire est prononcée dans 86% des peines au moins égales à 5 ans d’emprisonnement. Dans le cas de Nicolas Sarkozy, elle a été motivée par « l’exceptionnelle gravité des faits » (atteinte à l’intégrité de la nation) et le quantum de la peine.
- L’exécution provisoire en matière pénale est-elle adaptée ? Le législateur a tranché. Seuls de sérieux motifs sont de nature à la justifier. Mais cette disposition peut être critiquée car elle contrecarre le caractère dévolutif et en principe suspensif de l’appel, voire la présomption d’innocence. Encore faut-il dans ce débat ne pas confondre l’Etat de droit et l’état du droit.
Fustiger les juges, qui ne peuvent répliquer du fait de leur devoir de réserve, revient en effet à porter atteinte à la République et à l’Etat de droit, dont l’égalité devant la loi et la séparation des pouvoirs sont des piliers essentiels. Comme le disait Montesquieu « pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».
La France a encore la chance de disposer d’une justice certes imparfaite et trop lente, mais indépendante. Ce n’est déjà plus le cas dans d’autres grandes démocraties, notamment aux Etats-Unis.
En attendant la décision de la Cour d’appel, posons-nous donc les vraies questions. Est-il normal que le droit soit vu comme une contrainte insupportable par certains élus ? Est-il acceptable que des professeurs ou magistrats soient menacés de mort pour faire leur métier ?